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La socialisation différenciée

Inévitablement, l’être humain divise les gens en groupes. Ceux-ci peuvent être basés sur différents critères : l’origine ethnique, la religion, la profession, l’âge... Cependant, la catégorie la plus fondamentale semble être le sexe.

Quand nous rencontrons une personne, nous sommes en général capables de déterminer son sexe et nous ne pouvons pas nous en empêcher. Cette division du monde en deux, hommes et femmes, nous amène à penser que les hommes sont semblables les uns aux autres, comme les femmes sont semblables les unes aux autres. En réalité, il y a un grand recouvrement entre ces deux catégories, mais la socialisation renforce l’écart entre les genres en polarisant les différences, emprisonnant chacun/e dans des rôles spécifiques, très difficiles à faire évoluer.

Stéréotypes

Un stéréotype est une forme de croyance que nous avons au sujet de personnes qui partagent la même appartenance groupale, comme par exemple quand nous affirmons que les Allemands sont sérieux ou les Français chauvins. Les stéréotypes peuvent être positifs ou négatifs et sont le plus souvent descriptifs : ils expriment les traits ou les comportements que nous pensons typiques des membres du groupe.
Les stéréotypes liés au sexe, s’ils sont descriptifs, sont également prescriptifs, ce qui signifie qu’ils indiquent comment les individus devraient se comporter. En cela, ils fonctionnent comme des normes : ils nous informent sur ce qui est approprié et désirable pour chaque sexe : quels traits, comportements, intérêts ou professions conviennent aux hommes et aux femmes.
C’est ainsi qu’on estime que les hommes sont (et doivent être) aventureux, sûrs d’eux, indépendants et courageux, qu’ils font (et doivent faire) de bons mécaniciens et qu’ils s’intéressent (et doivent s’intéresser) au sport, tandis que les femmes sont (et doivent être) sensibles, douces, émotives et sociables, qu’elles aiment (et doivent aimer) les fleurs et les enfants et qu’elles font (et doivent faire) de bonnes infirmières. Sans cette adéquation entre son sexe biologique et le stéréotype qui lui correspond, on n’est pas un « vrai » homme ou une « vraie femme », et l’on s’expose à des coûts sociaux. L’apprentissage et la conformité à ces stéréotypes seraient dus à une socialisation différenciée qui s’applique aux enfants dès leur naissance et les guide peu à peu vers les rôles dévolus à leur genre.

Une éducation différenciée

Les parents traitent leurs enfants différemment selon qu’ils sont garçons ou filles. Dès qu’on connaît le sexe du bébé à venir, sa chambre et ses vêtements prennent les couleurs prescrites et on lui achète des jouets correspondant à sa « nature ». Les parents projettent les activités qu’ils pourront réaliser avec l’enfant suivant son sexe et, souvent, l’un des deux sexes est souhaité plutôt que l’autre. Une étude montre que 24 heures après la naissance, les parents s’attendent déjà à ce que des comportements différents apparaissent chez leur nourrisson en fonction de son sexe. Plus tard, ils encourageront la participation de leur bambin à des activités typées, comme les poupées pour les filles et les petites voitures pour les garçons. Ce traitement différencié a des répercussions tout au long de la vie. Comme il commence tôt et est acquis très rapidement par l’enfant, il est naturalisé : les différences sont comprises comme innées, biologiques, alors que de nombreux mécanismes psychologiques d’apprentissage peuvent les expliquer.

La pression normative

Deux types de pressions peuvent ainsi s’appliquer à l’enfant : la pression normative s’exerce lorsqu’une personne s’écarte de la norme, de ce qu’on attend d’elle, ou quand au contraire, elle s’y conforme. Dans un cas, il y aura punition, dans l’autre, récompense. Dans l’enfance, on nomme ce premier processus le renforcement différencié : on va par exemple encourager le petit garçon à courir et sauter et se dépenser, notamment en lui mettant des vêtements adaptés à ce type d’activités, on va lui retirer la poupée de sa sœur quand il la prend et le féliciter quand il a été courageux ou fort. Par contre, on va encourager la petite fille à jouer calmement avec ses poupées en l’engonçant dans une jolie robe qu’il ne faudrait surtout pas abîmer, on va lui demander d’aider maman à la cuisine et la féliciter parce qu’elle est très jolie. La récompense pour se conformer aux stéréotypes est souvent l’approbation sociale. Le désir d’être aimé amène ainsi les enfants à devenir ce qu’on imagine qu’ils sont « naturellement ».

Le modelling différencié

La pression informationnelle fonctionne autrement. Dès trois ans, l’enfant a compris qu’il appartenait à un des deux sexes, et que ces sexes étaient liés à des choses particulières : dès l’école gardienne, les petits garçons et les petites filles sont capables de classifier un nombre impressionnant d’objets, jouets, occupations et vêtements comme étant féminins ou masculins. Avant 7 ans, les enfants réalisent également que l’appartenance à un sexe est stable et constante. Quand cette identification est réalisée, l’enfant commence à utiliser son environnement, ce qu’il observe, pour en apprendre plus sur qui il est et ce qu’il doit faire. Plus particulièrement, l’enfant observe les modèles du même sexe que lui et adopte leurs comportements, goûts et attitudes. C’est ce qu’on appelle le « modelling » différencié. Ainsi, si maman fait la vaisselle, et papa tond la pelouse, les ambitions des petites filles et garçons vont reproduire ces observations. De plus, l’enfant met en place une forme de pression normative personnelle : il est capable de s’auto-réguler pour correspondre à son genre.

Ces deux processus ne se limitent bien évidemment pas à la sphère familiale, et de nombreuses influences parfois incontrôlables viennent jouer leur rôle dans la socialisation de l’enfant. Les intentions les plus égalitaires peuvent être balayées par l’impact de la télévision ou la littérature pour enfants, par les attitudes des pairs ou des professeurs à l’école, par les mille et une voies qui encouragent la reproduction des différences de genre. Car la socialisation précoce rend évidemment ces stéréotypes vrais, dans le sens où, en moyenne, les femmes et les hommes correspondent effectivement à leurs stéréotypes respectifs.

Impact de la socialisation différenciée

Le problème de la socialisation différenciée se pose de manière aiguë dans le domaine de l’informatique. En effet, la sphère technologique est traditionnellement associée au masculin, et dès 4-5 ans, les enfants, filles et garçons, associent l’objet « ordinateur » aux garçons. Historiquement, la machine informatique se crée dans un univers avec des valeurs et des objectifs liés au rôle masculin. De plus, cette discipline est liée aux mathématiques et à l’ingénierie, deux domaines où les hommes seraient soi-disant naturellement meilleurs que les femmes. L’informatique est perçue comme froide, rationnelle, logique et l’informaticien type (le « hacker ») comme un être asocial et négligé, aux antipodes du rôle féminin qui requiert contacts humains et émotions ! Pour les filles, s’intéresser à l’ordinateur devient dès lors une transgression de leur sexe, découragée par autrui, mais aussi par elles-mêmes : en aimant l’informatique, elles s’éloignent de la féminité, créant un conflit identitaire. De plus, dans leur environnement, elles risquent d’observer que ce sont les hommes qui utilisent majoritairement les ordinateurs et pas les femmes. Pression normative et pression informative les guident loin de la machine.

Des chances inégales

De nombreuses personnes estiment que la différenciation de genre qui s’opère ainsi est une bonne chose, qu’elle permet aux hommes et aux femmes de se répartir les rôles, qu’elle facilite la vie des individus en identifiant clairement pour eux ce qui est adapté à leur genre et ce qui lui est étranger (et souvent indésirable).
Pourtant, plusieurs raisons nous font penser qu’il n’en est rien. D’abord, la socialisation différenciée limite les opportunités des enfants de chaque sexe, en les privant d’intérêts et de découvertes « réservés » à l’autre sexe. Cet aspect est particulièrement criant dans le domaine qui nous intéresse, la maîtrise de l’informatique et des nouvelles technologies. On risque ainsi de passer à côté de véritables talents, de réprimer des qualités authentiques chez des enfants du « mauvais genre ».
Enfin, la différenciation provoque une reproduction des inégalités sociales, dirigeant les femmes vers des emplois de bas statut, mal rémunérés, sans réel pouvoir, qu’elles « aimeront » puisqu’on le leur a appris dès leur plus tendre enfance ! Dans notre cas, renforcer les différences entre sexes, c’est élargir le fossé qui sépare les femmes de l’ordinateur. Comme l’informatique est en passe de se glisser dans tous les recoins de notre existence, depuis l’imagerie médicale jusqu’aux médias, en passant par les métiers de la vente et l’industrie, si les femmes n’acquièrent pas la maîtrise de cet outil, c’est le pouvoir qui leur échappe.

Eléonore Seron
Janvier 2005

Sources
* Anselmi, D. L., & Law, A. L. (1998). Questions of gender. Perspectives and paradoxes. New York : McGraw-Hill.
* Burn, S. M. (1996). The social psychology of gender. New York : McGraw-Hill.
* Cassell, J., & Jenkins, H. (Eds.). (1998). From Barbie to Mortal Kombat. Gender and computer games. Cambrige, MS : The MIT Press.
* Crespi, I. (2004). Socialization and gender roles within the family : A study of adolescents and their parents in Great Britain. Annals of the Marie Curie Fellowship Association, Février 2004.
* Witt, S. D. (1997). Parental influence on children’s socialization to gender roles. Adolescence, 32, 253-259.

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