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Interview

De la technophobie à la vidéo digitale...

Les trentenaires d’aujourd’hui ne disposaient pas d’ordinateurs à l’école et ont grandi dans un climat de doutes quant à ce que la révolution technologique nous réservait. Cilia Willem appartient à cette génération. Après une licence en histoire, elle a mis le cap sur Barcelone et y a donné des cours d’anglais pendant trois ans, sans avoir de statut digne de ce nom. Faisant fi de toute idée préconçue concernant les ordinateurs, elle a repris des études et est devenue assistante à l’université en vidéo digitale.

Cilia Willem a trente-trois ans, et de bonnes chances de décrocher sous peu un poste académique à la faculté d’agrégation de l’Universitat de Barcelone 1. Elle est assistante au département de communication audio-visuelle, et donne des cours de compression vidéo digitale, de montage vidéo, et d’applications multimédia pour le web. Des branches hyper techniques… et Ada a voulu savoir comment une licenciée en histoire avait bien pu atterrir là.

Fuir la précarité

"Comme nombre de jeunes européens, je suis arrivée en Espagne via le programme d’échange Erasmus. Et je n’ai plus voulu repartir. Pourtant, trouver un boulot n’était pas évident. Mon diplôme de licenciée en histoire était moitié moins prestigieux en Espagne, mais heureusement, j’ai un certain talent pour les langues, et j’ai décroché un boulot comme prof d’anglais. Les conditions de travail au sein de l’école où je bossais étaient tellement précaires qu’au bout de trois années de salaires misérables, j’ai voulu me mettre à la recherche de quelque chose d’autre, offrant une plus grande sécurité. Je voulais recommencer une formation, sans véritablement savoir dans quelle direction. Jusqu’à ce qu’on nous propose une série de cd-roms proposant du matériel scolaire. Ils étaient tellement compliqués à utiliser que mes mains ont été prises d’une irrésistible envie de réorganiser le système de navigation. Mon intérêt pour les nouvelles technologies venait de s’éveiller. Et bien qu’ayant consciencieusement évité toute formation en informatique, et ce des années durant, j’étais persuadée que c’était la direction que je devais suivre."

Musique

On était en 1998 et l’internet commençait doucement à s’installer auprès du grand public. Vu que l’Universitat de Barcelone ne voulait pas être à la traîne dans le domaine de la formation aux médias pour les professeurs, la faculté qui s’occupe de l’agrégation a lancé cette année-là une toute nouvelle licence : "Applications multimédia dans la communication audio-visuelle ".

Cilia Willem s’est retrouvée parmi les étudiants de la toute première fournée : "J’étais à la recherche d’une formation en nouvelles technologies, qui, non seulement pourrait m’apporter quelque chose dans le cadre de mon expérience en tant que professeur, mais serait aussi un plus pour ma carrière musicale. Depuis toute petite, je chante, je m’occupe de théâtre et de musique. Je joue du piano et du saxophone, j’ai suivi des cours dans une école de musique, et en 1998 cela faisait déjà quelques années que je chantais semi-professionnellement dans un groupe a capella. Tout ça, c’était de l’acoustique, mais petit à petit, je me suis aussi intéressée aux applications musicales du digital."

Technophobe philosophique

Pourquoi Cilia Willem a-t-elle eu du mal à reconnaître les possibilités du digital autant dans les domaines de l’enseignement que de la musique, cela reste un mystère : "J’ai grandi en ayant des apriori très négatifs concernant les nouvelles technologies. Je n’avais aucune confiance dans ce genre de chose, et je craignais que les ordinateurs ne soient un frein à la communication entre les personnes. J’étais une véritable technophobe. Je n’avais pas peur des ordinateurs, mon travail de fin d’études a été tapé sans peine. Ma technophobie avait plutôt un fondement philosophique : j’aimais la musique, l’analogique, l’acoustique, et pour moi, l’électronique avait une connotation négative. C’est étonnant, parce que j’étais au courant de toutes les évolutions que cela pouvait amener dans le monde de la musique. Mon père est musicologue, et sur son conseil, j’ai même réalisé un travail sur la musique électronique. Les pionniers comme Xenakis, Schönberg, John Cage et plus tard des gens comme Kraftwerk et Stockhausen ne sont pas des inconnus pour moi. A Gand, j’allais régulièrement assister à des concerts plus expérimentaux au laboratoire musical Logos 2."

Velléités artistiques et goût de l’informatique : deux tendances qui ne font pas bon ménage, si on en croit le cliché. Le genre d’a priori qui retient certains jeunes de se tourner vers un emploi lié à l’informatique ? Cilia Willem : "Pour moi, cela a surtout à voir avec la manière dont laquelle on donne des cours d’informatique aux jeunes. Quand j’avais seize ans, lors de la pause de midi, je suivais des cours d’informatique en option. On y apprenait des choses franchement inutiles, comme écrire un programme qui pouvait calculer combien vous pèseriez sur la lune. Ca m’a découragé et détourné de tout ce qui avait un lien avec les ordinateurs."

Spécialiste en compression vidéo digitale

Anno 2006, Cilia Willem est devenue ce qu’on appelle ’une crac’ dans tout ce qui a un lien avec l’audio et la vidéo digitale. Elle est spécialisée dans la compression de vidéos digitales pour le web, les cd-rom 3 et les dvd, et est directrice de projets du ’laboratoire de médias interactifs’ relié à l’université 4. Elle s’y occupe de la production de projets vidéo internationaux avec des jeunes et est responsable du financement, via des subsides européens. En parallèle, elle travaille à son doctorat, et espère une nomination en tant que professeur à l’université d’ici trois ans. Ada lui a demandé si elle s’était déjà penchée sur la question du genre dans le domaine des nouvelles technologies.

"Je n’ai jamais consciemment réfléchi à des problématiques de genre, mais inconsciemment, on y est évidemment souvent confronté. Je suis arrivée dans la faculté qui s’occupe de la formation des professeurs, où il y a à peu près autant de filles que de garçons qui suivent la section multimédia. Je me souviens que j’étais vraiment impressionnée par une autre étudiante, Eva. Elle n’avait que 23 ans, mais elle était déjà capable de construire des sites web. En 1998, c’était quelque chose d’exceptionnel. Et oui, c’était une fille. Inconsciemment, elle a probablement été une sorte de modèle, parce que je me suis lancée dans la même direction. Nous avions eu comme travail la création d’une plateforme d’apprentissage multimédia, et je suis la seule étudiante de ma section à avoir présenté un site web. Cette prestation, ma connaissance des langues, et le fait que j’avais déjà une expérience professionnelle ont fait que j’ai pu immédiatement être engagée par le département."

Congénères vantards

A-t-elle constaté des différences dues au genre ? Cilia : "La première fois que je me suis sentie intimidée, c’est lorsque, vu mon intérêt pour la musique, je me suis mise à suivre des cours dans divers programmes pour apprendre à travailler le son, créer et composer. J’étais la seule fille dans un important groupe de garçons. Le climat durant les cours était très compétitif, et ils utilisaient énormément de langage ’sectoriel’, du genre : ’est-ce que tu as déjà telle version de ce programme’ ou ’tu ne connais pas ce plug-in ?’. Mais toute ma timidité a disparu lorsque le professeur s’est rendu compte que j’en connaissais plus en musique que la plupart de mes congénères vantards."

Audio, communication, vidéo, enseignement, musique... Cilia Willem ne quitte plus son ordinateur : "A Barcelone, je me promène toujours avec mon ordinateur sur le dos. Où que j’aille, j’ai toujours à un moment ou l’autre un truc à montrer sur l’écran, à échanger. Et puis je l’utilise aussi pour mes contacts au quotidien avec la famille en Belgique, via ’skype’. Imaginez-vous : en 1998, ma mère avait exigé que je m’achète un fax, alors qu’aujourd’hui, elle aussi passe son temps collée à l’écran !"

Lize Declercq

  1. http://www.ub.edu
  2. http://logosfoundation.org/index.html
  3. La compression de vidéos digitales est un travail de spécialiste, chez Ada, on en est parfaitement conscient. Le cd-rom "Informatisons" comprend 180 minutes de vidéo, comprimées de manière ingénieuse par Cilia Willem.
  4. http://www.lmi.ub.es

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