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La communauté du logiciel libre, peu accueillante envers les femmes Hacker ou macho alternatif ? Les femmes comptent pour seulement 1.5% du nombre total des développeurs de logiciels libres. Une étude ethnographique récente de l’Université de Cambridge montre que la dynamique culturelle au sein de la communauté du logiciel libre est elle-même responsable de cet écart énorme entre les genres. Dans la communauté du logiciel libre, dominée par les hommes, la technologie occupe une place centrale et les femmes sont assimilées au monde social, moins valorisé. La norme consiste à apprendre par soi-même et à pouvoir jongler avec l’informatique. Dans ce milieu, les nouveaux venus sont refoulés, la communication agressive est applaudie et le sexisme, toléré. Bien que toutes les opportunités soient ouvertes en termes de participation, les femmes préfèrent ne pas prendre part à un projet qui leur semble hostile.
Ce n’est pas un manque d’enthousiasme pour la technologie mais bien l’hostilité du milieu de travail envers les femmes formées aux technologies qui est généralement considérée comme la grande cause de l’écart entre les genres dans les métiers TIC (1). Or « Le fait que le monde du libre (qui comprend le Libre et l’Open Source Software- F/LOSS en anglais) (2) compte 20 fois moins de femmes que celui du logiciel propriétaire (1,5% contre 28%) (3), s’explique uniquement par la dynamique culturelle en place dans la communauté même. En effet, celle-ci rend plus hostile encore aux femmes un milieu – celui des TIC - qu’elles trouvaient déjà a priori hostile ». C’est sur base de cette assertion qu’a démarré FLOSSPOLS (4), la première étude mondiale consacrée aux mécanismes d’exclusion responsables de la sous-représentation des femmes dans le logiciel libre (5). L’écart énorme entre les genres dans le monde du libre n’a pas seulement choqué les chercheurs de FLOSSPOLS : la communauté elle-même s’inquiète de plus en plus de ce problème (6). Près de 66% des hommes et 85% des femmes interrogés estiment qu’une plus grande participation des femmes serait bénéfique au secteur. De plus, ce problème est particulièrement gênant dans une communauté qui croit dur comme fer que femmes et hommes doivent jouir des mêmes opportunités.
Pourtant cette exclusion est le fait même des membres de la communauté. Selon les chercheurs, bien qu’ils ne se considèrent pas comme sexistes et n’interprètent pas leur comportement comme hostile aux femmes, les acteurs du libre entretiennent sans le vouloir et inconsciemment un climat peu accueillant pour les femmes. Les mécanismes précis qui sont en cause ont été analysés au peigne fin dans le cadre de l’étude FLOSSPOLS. Ada en a parcouru le rapport et vous propose ici un petit compte-rendu.
« Libre » comme dans « libre choix »
La liberté est souvent comprise dans le monde F/LOSS au sens du « libre choix ». L’utilisateur/trice peut configurer lui-même ses programmes F/LOSS et celui ou celle qui veut devenir développeur peut décider librement de s’associer à un projet F/LOSS. « Si les femmes n’y adhèrent pas, c’est par manque d’intérêt ou de volonté » entend-on généralement comme justification à la sous-représentation des femmes dans la communauté F/LOSS. Le fait que le genre joue ici un rôle est en revanche un argument moins populaire parce qu’il s’oppose à l’opinion générale selon laquelle les individus agissent en toute « liberté et autonomie ». Les tentatives de sensibilisation aux questions de genre dans la communauté sont souvent reçues comme des « accusations non fondées » et « sexistes » qui sous-entendent que « les hommes et les femmes sont à nouveau considérés sur la base de leur différence ». Pour la plupart des membres de la communauté F/LOSS, la compétence technologique n’est pas déterminée biologiquement et le genre est une pure construction sociale. La solution proposée est donc : « en choisissant librement de participer au F/LOSS (comme les hommes), les femmes ont l’opportunité de se former techniquement et de fournir la preuve contraire du stéréotype dont elles font l’objet ». Masculinité alternative du hacker La communauté F/LOSS estime que la presse en général fait un usage abusif du terme hacker, qui signifie bidouilleur et non pas pirate informatique (cracker en anglais). Bref, bidouiller n’est pas pirater. Mais, au sein de la communauté, il n’existe pas non plus de définition positive unanime du terme « hacker ». L’identité du hacker est un modèle social qui prescrit un comportement et un mode de pensée que l’on doit adopter si on veut être accepté comme « vrai hacker » et non pas considéré comme un « wannabee » ou un « nul ».
Les hackers se considèrent comme des êtres uniques et « différents » parce qu’il leur manque des compétence sociales et qu’ils ont d’autres intérêts que le commun des mortels. De plus, cette différence les distingue de la pleine « masculinité » de l’homme ordinaire ainsi que de ce qu’ils appellent la « féminité ». Selon les chercheurs, il en résulte même un modèle alternatif de masculinité, une « masculinité de hacker ». Pour certains, le monde du libre ressemble à une plate-forme où l’on peut se passer des contraintes sociales de la culture majoritaire au profit d’un environnement où les règles générales de sociabilité ne doivent pas nécessairement être respectées. Les caractéristiques extérieures de cette masculinité « alternative » sont la barbe de trois jours et le T-shirt de son projet de libre favori. Le code vestimentaire « jean neutre avec T-shirt » est également repris par les femmes de la communauté libre, ce qui gomme toutes les différences de genre. Selon les chercheurs, les femmes qui ne veulent pas renoncer à leur "apparence" féminine voient ce code comme une barrière. Mais dans la glorification de la masculinité alternative du hacker, se cache un plus grand mécanisme d’exclusion. Les hackers associent, par un biais presque biologique, la « sociabilité » aux femmes. Au sein du monde du libre, les femmes ont été bombardées gardiennes de la sociabilité, ce qui les oppose fortement à la définition du « programmeur-bidouilleur ». Les chercheurs sont conscients d’une contradiction. Côté technique, la séparation stéréotypée entre femmes et hommes est « artificielle » et on ne voit pas très bien pourquoi les femmes réussiraient moins sur ce plan que les hommes. Hors de cette sphère, les femmes sont considérées comme « naturellement différentes » des hommes et plus aptes à la sociabilité qu’un certain groupe : les programmeurs masculins (asociaux). Cette formation dans une sphère « technique » (où l’homme tient un rôle) et une sphère sociale (où la femme tient un rôle) alimente la discrimination de base auxquelles les femmes sont confrontées dans le monde du libre. Les femmes sont des "extraterrestres sexuels" 2/3 des femmes et hommes interrogés approuvent totalement ou presque l’affirmation selon laquelle les femmes reçoivent plus d’attention dans les communications en ligne du secteur du libre parce qu’elles sont des femmes et non en tant que participantes au logiciel libre :
Cette attention outrancière pour l’aspect sexuel donne aux femmes le sentiment de n’être pas prises au sérieux, complique la construction d’une relation de mentorat constructive et altère la communication de façon générale. Les femmes du libre rapportent que les hommes interrompent les sessions de chat dès qu’il leur apparait qu’elles ne recherchent pas une relation sexuelle mais bien technique ! Les nombreuses remarques dénigrantes exprimées (en et hors ligne), soi-disant par plaisanterie, amènent également les femmes à rapidement tourner les talons. La quasi totalité des femmes interrogées dans l’étude FLOSSPOLS témoignent de comportements discriminants à leur égard ou envers d’autres femmes, tandis qu’1/5 seulement des hommes interrogés a effectivement constaté cette discrimination :
La convivialité, c’est pour les gens normaux Contrairement au logiciel propriétaire, le fait de fournir un produit fini est un détail dérisoire dans le monde du libre. De sorte que l’élaboration des manuels d’utilisateur et les projets de création d’interfaces conviviales jouissent de moins de prestige que la programmation. Cette sous-valorisation des tâches de communication est également due au fait que les hackers pensent que ces tâches demandent moins d’efforts parce qu’elles ne solliciteraient que des dons innés.
La plupart des femmes du libre remplissent précisément ces tâches de communication moins appréciées. Ce qui rejoint bien cette vérité du hacker selon laquelle les femmes sont, par nature, prédisposées à la sociabilité. En revanche, en termes d’équilibre des genres au sein du monde du libre, l’effet est désastreux : non seulement la répartition des rôles est figée mais en outre, les femmes se sentent vite exclues et donc décrochent. La communauté du libre reste un petit groupe homogène qui n’arrive que très lentement à attirer de nouveaux membres. Elle exige de ses membres une maîtrise énorme de l’informatique : le secteur du libre, dominé par la masculinité typiquement hacker est en effet trop élitiste pour se mélanger facilement aux gens plus ordinaires. Et si la communauté du libre se targue de transformer la technologie en bien public, elle n’en échoue pas moins à reconnaître les besoins du grand public… Une communication agressive Des études démontrent que la communication en ligne invite à pratiquer un langage agressif et hostile envers les femmes (7). Mais ce danger guette d’autant plus la communauté du libre puisque le fait de ne pas tenir compte des sentiments d’autrui est une attitude valorisée au sein d’un groupe qui se veut hors norme et se distancie de la sociabilité. Pire, ceux qui expriment brutalement leur expertise au sein de la communauté du libre se créent, en fait, une réputation. Les nouveaux-venus qui posent des questions « trop simples » sont rabroués à coup d’expressions telles que "RTFM" (read the f***ing manual) ou "go and google it". Ceux-ci finissent par passer leur chemin. Le culte de l’auto-apprentissage Contrairement à ce qui se fait dans les formations en sciences informatiques, on ne commence pas par le commencement dans le logiciel libre. En effet, les participants doivent avoir des bases. Or les femmes se familiarisent généralement plus tard que les hommes avec l’informatique, et reçoivent leur premier ordinateur plus tard que les garçons. Dans un projet de logiciel libre, elles posent généralement plus de questions que leurs collègues masculins et sont donc plus souvent raillées à cause de leur soi-disant ignorance.
Dans l’enquête FLOSSPOLS, les répondants révèlent avoir, pour les hommes, reçu leur premier ordinateur personnel à 15 ans, alors que les femmes ont reçu le leur à 19 ans. Un premier ordinateur personnel, c’est la première machine qu’ils et elles ont pu librement accaparer, reformater, et réinstaller… Cette différence de quatre ans n’est pas anodine, soulignait Hannah Wallach lors de sa conférence au FOSDEM de 2006 (8) : "Les années de l’adolescence demandent moins de travail scolaire que les suivantes et laissent donc du temps au chipotage informatique. Elles conditionnent aussi en partie l’orientation dans une filière de l’enseignement supérieur."
La devise du groupe pourrait être : apprends par toi-même. La plupart des hommes au sein de la communauté du libre affirment clairement qu’ils ont tout appris « par eux-mêmes » et ne voient pas le lien – entre auteur et lecteur – de communication que peut revêtir un manuel d’utilisation. En revanche, les femmes du libre ont moins de difficultés à citer les personnes auprès desquelles elles ont fait leurs premiers pas en informatique. Ceux qui veulent rapidement se tailler une réputation dans le monde du libre peuvent également souscrire à cette autre règle : travaillez le plus possible à partir des lignes de commande et pas via l’interface utilisateur « créée pour les demeurés ». Cette pratique est aussi une source d’exclusion, selon l’étude FLOSSPOLS. Il ressort en effet de l’étude que la plupart des femmes intègrent l’informatique après avoir suivi une formation formelle où l’accent est mis sur l’interface utilisateur (9). Cette règle d’utiliser les lignes de commande ne fait qu’augmenter artificiellement l’écart d’expérience entre les femmes et les hommes, expliquent les chercheurs. Le libre, un mode de vie La production dans le monde du libre repose encore beaucoup sur le volontariat. La grande majorité des participants (81,4%) ont une autre fonction rémunérée et programment sur leur temps libre. Si les femmes passent une plus grande partie de leur temps libre dans la communauté que les hommes, elles n’en restent pas moins, de manière générale, plus absorbées qu’eux par les tâches ménagères et ont donc moins de temps de loisirs.
D’après l’étude FLOSSPOLS, il est extrêmement difficile pour les jeunes mères de libérer du temps pour le logiciel libre. Dès qu’elles ont des enfants, elles quittent la communauté. Les membres féminins du monde du libre sont donc généralement sans enfants, et par ailleurs plus âgées et plus diplômées que les membres masculins. De plus, une majorité écrasante de femmes de la communauté occupent une position dirigeante dans une fonction informatique non technique. Les femmes moins expérimentées ou occupant des fonctions inférieures trouvent donc plus difficilement leur place dans le milieu. L’impact de l’adhésion au libre sur le temps libre trouve à nouveau un écho dans la masculinité typique de la communauté : rester de longues heures derrière son ordinateur est une marque d’indépendance, d’enthousiasme et d’autonomie par rapport à la norme. « Pas de vie hors l’informatique », tel est le symbole ultime du « hacker » chez qui domine l’idée que liens sociaux et intérêt pour la technologie sont antinomiques. Les chercheurs concluent que les femmes sont moins tentées de s’intégrer dans une communauté qui ne laisse aucune place à d’autres valeurs et place l’ordinateur au-dessus de tout. Lize De Clercq
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