Interview avec Concilia Bagaragaza, analyste-développeuse à Seneffe, l’interactive
Avoir un profil d’informaticienne et travailler dans une administration ? On n’y pense pas souvent, et pourtant le secteur administratif a un besoin important d’informatisation. Nous avons rencontré Concilia Bagaragaza, analyste-développeuse à "Seneffe, l’interactive", une commune pilote dans le processus d’informatisation connu généralement sous le nom d’ « e-gouvernement ».
 Concilia Bagaragaza |
Bonjour Concilia et merci d’avoir accepté cette
interview. Explique-nous, d’abord, tes débuts dans l’informatique.
C’est mon père qui m’a convaincue que je devais faire des
études d’informatique : il disait que j’avais un esprit logique.
J’ai fais mes études ici en Belgique. Quand je suis arrivée
à l’université, je ne savais pas ce qu’on allait voir :
c’était en 84 et les pc commençaient juste à apparaître.
On avait des maths, de l’analyse, de l’anglais, de la philosophie…
La première année, on ne touchait pas encore à l’ordinateur,
c’était des algorithmes, toujours des algorithmes ! Il y avait
des cours de logique et de cours entiers consacrés à un exercice
qui, d’après moi, est fondamental pour apprendre la programmation
: savoir exprimer en français un problème avec des conditions,
des conséquences et des relations de cause à effet ! La première
année, je l’ai ratée. Ce n’étaient pas les
math et l’analyse, mais plutôt les cours qui étaient à
côté. J’avais perdu toute motivation et mes parents m’ont
conseillé de tenter un graduat. Pendant le graduat, je pouvais enfin
me consacrer entièrement à ce que j’aimais le plus : logique,
programmation et maths.
Il y avait combien de filles à l’université
et combien en graduat ?
A l’unif il y avait beaucoup de filles, je pense moitié-moitié
: mais l’intitulé de la licence était « sciences économiques,
option informatique » et peut-être que cela effrayait moins les
filles. Par contre en graduat on était trois filles sur douze garçons.
Tu retournais au Rwanda pour les grandes vacances ?
Oui, et je réalisais à chaque fois ce que j’avais appris,
parce que j’écrivais des programmes en Pascal pour automatiser
une série d’opérations de notre atelier de couture !
Des programmes pour faire marcher les machines ?
Non, plutôt des programmes pour automatiser le travail administratif
: des programmes de traitement de texte en Pascal, des programmes pour le paiements
des employés…
Tu faisais donc un vrai travail d’informaticienne…
Oui, j’ai écrit des tas de programmes pour faciliter le travail
administratif de notre entreprise.
Je suis restée au Rwanda de ’88 à ’94. Quand la guerre a éclaté,
je suis restée deux années au Kenya, et finalement en juin ’99
je suis retournée en Belgique. Je suis allée à l’Orbem,
et j’ai demandé tous les cours d’informatique qui s’organisaient
à Bruxelles.
Tu n’as pas eu de doute : tu voulais continuer avec l’informatique.
Cela ne t’effrayait pas qu’il y ait eu une évolution dans
l’informatique, et qu’il y ait beaucoup de nouveaux langages que
tu ne connaissais pas ?
En Afrique, je m’étais inscrite à des cours informatiques
par correspondance, en programmation : j’apprenais toujours, j’achetais
de livres de Cobol, de Pascal. De plus ma sœur cadette venait de terminer
son ingéniorat en électricité… Elle ne trouvait pas
de travail et avait décidé de se réorienter vers l’informatique ;
après avoir suivi un cours de gestionnaire de bases de données,
elle a trouvé tout de suite du boulot. Je me suis dit que c’était
le bon choix : suivre un bref cours pour se remettre en route…
Pourquoi as-tu choisi la formation de « web application developer »
chez Interface3 ? Tu étais particulièrement attirée par
le web ?
Oui, du moment qu’il y avait de la programmation ! De plus, avec quatre
enfants, je ne voulais pas me lancer dans quelque chose de complètement
nouveau, il me fallait juste un cours pour actualiser mes connaissances.
As-tu postulé tout de suite chez Seneffe l’interactive ??
Non, d’abord je devais faire mon stage, prévu dans le cadre de la formation. J’avais contacté Belgacom qui m’avait répondu positivement.
Je suis allée passer l’interview chez eux, et ils m’ont posé de questions sur html, VB script, ASP et PHP. Je m’étais très bien débrouillée avec la logique, mais je suis incapable de connaître des formules par cœur, même si cela ne m’a jamais empêché de bien programmer.
Étaient-ils au courrant de ton parcours, du fait que tu connaissais
la programmation ?
Oui, mais je pense que les garçons qui m’ont interviewé, un webmaster
et un développeur, n’avaient pas fait le même type d’études
que moi : il y en avait un qui m’a demandé « qu’est-ce
que c’est qu’un algorithme », non pas pour tester mes connaissances,
mais parce qu’il ne comprenait pas ce mot que j’avais utilisé
dans mon CV !! Il prétendait qu’il s’agissait d’un
terme de maths…
De toute façon je n’ai pas paniqué, et j’ai vu qu’ils
cherchaient un web designer chez Seneffe l’interactive… Je ne voulais
pas envoyer mon CV parce que ce n’était pas vraiment ma fonction,
mais finalement je l’ai envoyé quand même et… surprise,
quand je leur ai expliqué que je n’étais pas web designer
mais que je connaissais l’ASP, ils m’ont tout de suite prise en
stage.
Chez Seneffe l’interactive, ils étaient tellement contents de
ton travail qu’ils t’ont tout de suite proposé de rester
après ton stage ?
Oui, mon chef avait déjà demandé à sa hiérarchie
de me proposer un contrat. On lui a répondu qu’il n’y avait
pas assez d’argent pour engager un informaticien. Alors, je me suis renseignée
sur les facilités dont mes employeurs auraient pu bénéficier
en m’engageant : « plan Rosetta » et autres…
Étais-tu contente du salaire qu’ils t’ont proposé
?
Pas vraiment contente, mais j’étais au courant de ce que je pouvais
avoir dans ma situation. Je me suis dit que c’était une très
bonne occasion pour me faire de l’expérience et j’aimais
beaucoup ce que je faisais.
Penses-tu que tu gagnerais plus dans le secteur privé, avec tes compétences
?
Il faut penser globalement à la qualité de vie que ton emploi
peut t’offrir : il y a bien sûr le salaire, mais il y a aussi le
temps de travail et d’autres choses très peu « quantifiables
» comme par exemple savoir que tu travailles pour faciliter la vie de
te concitoyens…
Il est vrai que l’on a une image assez figée des métiers
de l’informatique : on pense qu’ils t’amènent à
travailler dans des start-up ou des grandes sociétés avec des milliers
de salariés. On ne pense pas souvent aux professions de l’informatique
dans le secteur administratif où, par ailleurs, les femmes sont traditionnellement
très nombreuses. Toi, Concilia, quels horaires as-tu ?
Je travaille 38 heures et je ne travaille pas le mercredi après-midi. Si
j’arrive un peu tard le matin, je pars un peu plus tard le soir.
T’arrive-t-il de travailler le soir ?
Oui, parfois, mais parce que j’ai envie de résoudre un problème
spécifique, un petit bug. Cela dit, j’ai aussi des « deadlines
» à respecter. En phase d’analyse, je dois pouvoir dire combien
de temps le développement du projet va prendre. Et je dois, par après,
m’y tenir.
Peux-tu nous décrire un exemple pratique du type de travail auquel une
analyste-programmeuse peut s’attendre dans une administration communale
?
Je te donne un exemple pratique sur lequel je suis occupée à
travailler : le service jeunesse organise des camps de vacances pour les enfants
avec plusieurs activités. Cela signifie que les employés du service
doivent veiller à ce que les inscriptions soient faites correctement,
tenir compte du nombre d’enfants qui participent à chaque activité,
parce qu’il y aura un ou plusieurs bus qui doivent passer les chercher,
en optimisant leur parcours selon les adresses… D’abord, je discute
longtemps avec les employés du service pour comprendre comment ils sont
habitués à accomplir toutes ces taches. Après je réfléchis
à comment les automatiser. Le résultat sera que les employés
devront uniquement écrire, via un formulaire, les noms des enfants qui
participent à une activité ; tout le reste se fera automatiquement
: liste des enfants par activité, nombre d’activités auxquelles
un enfant participe…
Et chaque service communal a besoin de ce genre d’automatisation ?
Oui, j’accompagne le service jeunesse depuis janvier. Quand j’aurais
terminé, je vais probablement attaquer le service enseignement, et puis
il y aura le service tourisme, et ainsi de suite !
Penses-tu que ce besoin d’informatisation des administrations publiques
soit généralisé en Belgique ?
Oui, sûrement. Ici nous sommes à « Seneffe L’interactive
», commune pilote de l’informatisation et pourtant il y a un tas
de paperasses que les employés sont encore obligés de remplir.
Imagines-toi le gain de temps et d’énergie que l’informatisation,
même partielle, de ces opérations signifierait ! Je pense qu’il
y beaucoup de travail « caché » dans les administrations.
Quel conseil pourrais-tu donner aux femmes qui aiment l’informatique
mais qui, par exemple, n’ont pas envie de travailler dans une société
informatique ?
Postulez dans une administration en disant « voilà ce que je suis
en mesure de faire pour vous, vous n’êtes peut-être pas au
courant, mais je peux vous simplifier la vie ». Vous aurez de bonnes chances
d’être appelée, d’autant plus que les administrations
bénéficient de beaucoup « d’aides à l’embauche
» : il est assez simple de décrocher un contrat à temps
déterminé. Ensuite ils ne pourront plus se passer de vous ! Je
ne sais pas si c’est l’idéal pour toutes les femmes, mais
pour une femme comme moi, passionnée par l’informatique, avec quatre
enfants, c’est le meilleur endroit du monde !
Interview : Elena Lanzoni
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