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![]() Pas facile d’être seule ! Situation minoritaire et action des stéréotypes Pour de nombreuses femmes engagées dans des carrières ou des études atypiques pour leur sexe, comme l’informatique, la réussite scolaire ou professionnelle passe par la gestion d’une situation particulière, celle d’être minoritaire, voir seule, dans son environnement. Si des histoires personnelles témoignent souvent de la déconcertante souplesse des femmes et de leur capacité à s’intégrer en tout lieu, il reste néanmoins que des mécanismes, parfois invisibles, rendent cette situation plus difficile qu’on ne le croit, à la fois pour celles qui ont pénétré dans la sphère masculine, mais aussi pour celles qui n’y sont pas encore parvenues (et qui n’y arriveront peut-être jamais). Standing alone
Une femme isolée dans un univers masculin risque donc d’apparaître plus nettement en tant que femme. Or, la catégorisation active automatiquement les représentations liées à l’appartenance groupale : les stéréotypes. Les gens s’attendront donc à ce que la demoiselle se comporte comme prévu par le stéréotype. Cette attente n’est pas neutre : lorsqu’on a une attente par rapport à quelqu’un, le comportement qu’on adopte amène souvent subtilement cette personne à agir comme on l’attendait, confirmant par là notre « prophétie » : c’est ce qu’on appelle « l’auto-confirmation de la prophétie » (1). Par exemple, si je croise une personne que j’imagine désagréable, la manière dont je l’aborde, sans doute froide, va l’amener à être effectivement antipathique. C’est par ce phénomène que l’on explique notamment pourquoi les gens beaux sont généralement plus sociables et amicaux que les gens laids. Dans la situation particulière des femmes qui font de l’informatique, un exemple nous est fourni par Collet et Ingarao. : la mise à l’épreuve des femmes par leurs collègues masculins, souvent sur des problèmes très complexes. L’homme a une attente par rapport à la femme : elle ne va pas s’en tirer. Comme le problème soumis est trop complexe : elle ne s’en tire pas. Résultat des courses : elle est incapable de faire de l’informatique, comme il l’avait supputé. CQFD. Evidemment, nous ne nous comportons pas toujours comme le veulent les stéréotypes, mais ceux-ci sont vivaces et résistants : d’autres mécanismes peuvent ainsi entrer en action pour les préserver. Les stéréotypes agissent comme des lunettes : on lit le monde à travers leur prisme. Les comportements sont lus, traduits, sous leur éclairage... Une célèbre expérience montre que le même geste est perçu comme une agression quand c’est un Noir qui l’effectue, mais comme un jeu quand c’est un Blanc qui l’accomplit. De plus, notre attention et notre mémoire sont sélectives : on repère et retient mieux ce qui colle à nos attentes, tandis qu’on néglige et oublie ce qui ne nous convient pas. Ainsi, il suffit à une femme de se tromper une fois dans le câblage de son PC pour être taxée d’incapable, même si elle a déjà posé le geste mille fois. Pire, son erreur est généralisée à l’ensemble de son groupe (2)... Et comme nous allons le voir, il y a de fortes chances que cette erreur de câblage soit justement due aux regards un peu trop scrutateurs de ceux qui l’entourent... Réputation menaçante Les femmes doivent gérer une suspicion de moindre compétence dans le domaine technologique : l’informatique étant masculine par représentation (voir nos autres articles à ce sujet), toute femme qui intègre ce monde fait un peu figure d’exception. Une femme qui travaille dans un domaine non-traditionnel peut s’exposer à ce qu’on nomme « la menace du stéréotype ». Cette menace s’exerce dans les situations où nous pensons risquer de confirmer un stéréotype négatif lié à notre groupe. On observe que dans ces conditions, les personnes réalisent généralement de moins bonnes performances que lorsqu’elles ne sont pas menacées. Les effets de cette menace se généralisent à de nombreuses situations : on les a constatés avec des Noirs sur des tests d’intelligence verbale, des Blancs sur des performances sportives, des hommes sur des tâches émotionnelles, des femmes sur des questions mathématiques ou encore des personnes au chômage sur des mesures de mémoire… Comme le stéréotype veut que les femmes ne soient pas très douées dans le domaine technologique, les filles qui étudient l’informatique, puis les professionnelles qui exercent le métier sont exposées à ce risque. C’est d’autant plus vrai que certains aspects augmentent les effets de la menace : les situations de test, la saillance de la catégorie (par exemple en situation minoritaire) mais aussi la manière dont on valorise une sphère particulière : plus on apprécie une discipline, plus elle est importante pour nous, et plus nous risquons de réaliser de mauvaises performances en cas de menace. Pour l’instant, la menace du stéréotype a été étudiée principalement en situation de test, ce qui la rend particulièrement utile pour comprendre les résultats aux entretiens d’embauche ou aux examens. Mais dans chaque situation où la personne se sent jugée ou évaluée (par un collègue, un client), la menace du stéréotype peut survenir. Les causes de la diminution de performance en situation de menace du stéréotype sont mal connues. Les premiers modèles estimaient qu’elle était due à un surplus d’anxiété, mais les résultats de recherche n’ont pas été probants. D’autres théories penchent pour l’intervention de pensées interférentes (on perd des « ressources cognitives », de l’attention, des capacités, à s’inquiéter de ce stéréotype qu’on espère infirmer), une plus grande prudence (comme on ne veut pas confirmer le stéréotype, on répond à moins de questions, on prend moins de risques, histoire de ne pas se tromper), on a des attentes de performance moins élevées (à cause du passif du groupe, on se sent moins apte à réussir et on confirme cela par des performances moindres). Des moyens d’y remédier existent, heureusement, notamment en insistant sur la « neutralité » des disciplines ou bien en ne mettant pas en exergue le caractère « différent » de l’individu (ne surtout pas dire : « Nous allons demander à la seule demoiselle de la classe de répondre ! ») voire en mettant l’accent sur une identité qui rassemble tout le monde (comme : « historiquement, tous les étudiants de cette école ont toujours eu d’excellents résultats à ce test »). Dans les interactions quotidiennes au travail, on peut aussi éviter de tester les gens en permanence, de remettre leurs compétences en question... Les modèles positifs sont également une manière de contrecarrer la menace : des études montrent que des femmes qui ont la possibilité de se documenter sur les réussites d’autres femmes avant de passer un test de mathématique ardu, ne sont ensuite pas victimes de la menace du stéréotype, et cela même si les modèles proposés le sont dans une discipline différente. Evidemment, le meilleur moyen de se débarrasser de la menace du stéréotype est plus simplement de faire disparaître le stéréotype... Ce qui n’est pas toujours évident. En effet, le déclencheur de la menace est la perception d’un stéréotype ambiant, et non pas l’adhésion personnelle au stéréotype. C’est donc la culture entière qui doit évoluer... Au-delà d’effets insidieux des stéréotypes, être isolée dans un environnement masculin peut mener à une certaine solitude face à des problèmes, notamment les difficultés de conciliation vie privée/vie professionnelle ou les expériences de discrimination. Par le petit trou de la serrure
On appelle « tokenisme »(3) ces situations où les frontières entre deux catégories sociales sont un tout petit peu perméables : certains membres du groupe dit « de bas statut » parviennent à se hisser dans les sphères fréquentées par les membres du groupe de haut statut, mais très peu : ce sont des « tokens ». On pense par exemple à l’unique femme dans un gouvernement ou à l’unique personne d’origine étrangère dans le conseil d’administration d’une grande entreprise. Cette ouverture minimale du groupe dominant permet de casser la lecture des inégalités en termes groupaux. En effet, cette situation légitime l’idée de « quand on veut, on peut », puisque cet individu (unique) est parvenu à se hisser jusque là : il constitue la preuve d’une justice sociale. En cela, le tokenisme permet le maintien des systèmes de pensée individualistes, basés sur un prétendu mérite, et déforce des modèles explicatifs en termes de discrimination. De plus, le token qui a réussi à s’élever fait le plein d’estime de soi puisqu’il/elle peut s’enorgueillir d’être arrivé/e au sommet par ses propres moyens. En réalité, la présence d’un token est parfois un simple moyen d’apaiser les revendications de ceux/celles qui n’ont pas sa chance, ses compétences surhumaines, son réseau social, etc... Reine de la ruche De plus, les personnes en situation de token ne sont pas forcément les plus favorables à des actions positives vis à vis de leur propre groupe. En effet, la « reine-abeille » (4) en a bavé pour arriver au sommet de la hiérarchie et parfois, elle apprécie cette position d’unique femme parmi les hommes : elle est dorlotée, chouchoutée, appréciée et elle se sent au-dessus du lot. Pour une femme, atteindre le sommet dans une culture (d’entreprise) masculine, signifie souvent avoir adopté, assimilé, accepté cette culture et ses présupposés méritocratiques. Pour être acceptée parmi ses pairs, un membre périphérique, et qui le sera toujours (puisqu’en général une femme reste une femme), doit sans cesse réaffirmer son attachement au groupe, à ses valeurs, à son mode de fonctionnement. Notamment, ces femmes sont souvent les plus critiques envers toute mesure qui viserait à favoriser la carrière des autres femmes : elles ont à cœur de maintenir le système qui leur a permis de s’élever. Le fait d’avoir dû fournir plus d’efforts et consentir à plus de sacrifices que les hommes autour d’elles leur semble normal, et faciliter la tâche aux suivantes très injuste. Au delà, il semblerait que les femmes qui ont réussi dans des environnements masculins soient aussi des juges plus durs de la motivation des autres femmes. Cet effet s’expliquerait de la manière suivante : puisqu’il est rare pour une femme de réussir dans ce milieu, une femme qui l’a fait estime qu’elle est atypique de son groupe. Les autres femmes, fatalement (stéréo)typiques, elles, lui paraissent affublées des traits qui les empêchent d’arriver dans les sommets : elles préfèrent leur famille à leur travail, ont moins de temps pour se donner à fond (quelle qu’en soit les raisons), n’ont pas le goût de la carrière. Quand ces « reines-abeilles » président aux décisions de promotion de leurs consœurs, on imagine l’effet destructeur de ce type d’a priori. Pourtant, pour contrecarrer les multiples effets de la situation minoritaire, une seule solution : engager plus de femmes ! Il est donc crucial que les personnes en charge du recrutement, hommes et femmes, soient sensibles aux difficultés inhérentes à la position de « token », qu’elles soient liées à la catégorisation, à la menace du stéréotype ou à une solitude plus générale. De même, les femmes qui ont gagné les hautes sphères devraient pouvoir examiner leurs attitudes et veiller à ne pas tomber dans le piège de la ruche... Eléonore Seron, Janvier 2006
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