ADA : Femmes et nouvelles technologies  - Femmes et  IT - Femmes et TIC
 

recherche

Newsletter

 
 

Dans la même rubrique :

Interview avec les « Candida grrls » Agnese et Kry, vidéo-activistes

Interview avec les "Htmlles" Annabelle Chvostek et Anna Friz, artistes Sons

Mediactivistes internationales aux rencontres Digitales

Interview avec Elke Vanvoorden, "lan-girl"

Les femmes dans le net.art

De la technophobie à la vidéo digitale...

Partage avec "Mme Wikipédia"

 
cliquez ici pour imprimer la rubrique

Entretien entre cyber-féministes : Ada, Nat Muller, Diana McCarty et Betty de SexyShock

Le cyber-féminisme est un mythe. Une fable sur l’infiltration des virus féminins dans le techno-monde masculin du cyberespace. Une légende sur l’identité virtuelle utopique, dénuée de toute dimension de sexe, de race, de classe ou d’âge. Le cyber-féminisme est le féminisme. Non pas au sens personnel mais au sens où l’ordinateur devient politique. Il s’agit de contrôler en propre les nouvelles technologies et de lutter contre les inévitables stéréotypes qui, via des applications, parasitent la nouvelle ère du digital. Ada s’est glissée dans la peau des cyber-féministes et a mené un entretien avec trois collègues de la scène internationale.

Le festival média international NEURO (1) est un lieu de rencontre pour les cyber-féministes de tous acabits. Ada y a animé une conversation entre Nat Muller (2), Diana McCarty (3) et Betty (4) : à propos des « genderbrowsers », de la technophobie féminine, de l’intelligence artificielle et de la colonisation biotechnologique du corps féminin.

Ada : D’après Alla Mitrofanova, une des oratrices présentes à la première rencontre cyber-féministe en 1997, le (cyber)-féminisme est un « navigateur que vous utilisez pour regarder le monde » (5). Que voulait-elle dire par là ?


Nat Muller
Nat : La critique liée au genre est comme une loupe ; vous observez les choses à travers une loupe dotée d’un filtre du genre et vous apercevez que la société est organisée en fonction du genre et que les femmes, en tant que groupe, sont systématiquement soumises à un système patriarcal. En tant que (cyber)féministe, vous ne vous départissez jamais de cette sensibilité liée au genre : si j’organise, par exemple, une exposition qui ne tourne pas nécessairement autour de la question du genre, cette loupe critique, avec ce filtre du genre, est toujours présente.
Betty : Il faut être vigilant car aujourd’hui le concept « queer » (= il n’existe aucune identité fixe ) se substitue de plus en plus au « genre ». Dans le cyber-féminisme, il ne s’agit souvent plus seulement des questions de masculinité et de féminité mais aussi de tout ce qui se trouve entre, en deçà et au-delà de ces questions.
Diana : Ce n’est pas seulement une manière de voir les choses mais aussi de les aborder. Ce n’est pas parce que je travaille avec différents groupes de femmes que j’appose l’étiquette « féministe » sur mon boulot. Que je travaille avec des hommes ou des femmes, que je fasse de la politique, mon féminisme se retrouve toujours dans tous les aspects de mon travail et de ce que je fais. J’ai, par exemple, participé au développement d’un serveur pour l’International Women’s University (6). Au début du semestre, le serveur n’était pas encore tout à fait prêt et les femmes (issues de près de 110 pays) ont eu l’occasion de développer le système avec nous de sorte qu’il réponde à leurs besoins spécifiques. Non seulement, cette méthodologie féministe a donné lieu à une application logicielle qui a remporté un prix, mais elle a aussi procuré aux femmes qui ont co-réalisé ce projet un fort sentiment d’identification.

Ada : Une cyber-féministe de la première heure, Sadie Plant, écrit dans son livre « Zeros and Ones » (7) que les femmes n’ont aucunement joué un rôle médiocre et marginal dans le développement des machines digitales. Elle évoque Ada Lovelace en tant qu’héroïne de l’histoire de l’informatique et décrit comment les femmes, du métier à tisser, en passant par le téléphone et jusqu’à l’ordinateur à cartes perforées, ont toujours été intrinsèquement liées à la simulation, l’assemblage et la programmation de la technologie. La femme technophobe ne serait-elle qu’un malentendu entêté ?

Nat : Il est vrai que tout au long de l’histoire, les femmes ont toujours su comment aborder la technologie. Le malentendu de la femme technophobe est basé sur une hiérarchie artificielle cultivée dans un monde technologique dominé par les hommes. Certaines technologies ménagères par exemple sont assez compliquées (ne songeons qu’à la programmation d’une machine à laver) mais vu que la forme de cette technologie porte généralement le sceau de « féminin », elle se trouve, sur l’échelle hiérarchique de la technologie, à un niveau inférieur à la technique automobile.


Diana McCarty (& Davida)
Diana : Il en va de même dans les métiers. Dès qu’un métier se féminise, il perd de son prestige. Prenez le travail de secrétariat qui, auparavant, était un métier très masculin. Dès qu’il est devenu un secteur féminin, il a fortement chuté sur l’échelle hiérarchique. Mais cette dévaluation de la technologie associée aux femmes n’est pas la seule cause qui explique cette vision technophobe de la femme. Même l’historiographie a été faussée : le rôle que les femmes ont joué dans le développement des sciences a toujours été effacé. C’est arrivé à Ada Lovelace comme c’est arrivé à Rosalind Franklin (8), qui a joué un rôle capital dans le développement de la structure ADN tandis que ses trois collègues masculins s’en sont allés, le prix Nobel en main.
Nat : La critique féministe sur les sciences masculinisées, que l’on doit notamment à Donna Harraway (9) et Helen Longino (10) constitue en effet la pensée féministe la plus intéressante de ces dernières années. Celle-ci a montré que les premiers « ordinateurs à cartes perforées » étaient programmés par des femmes et que ces femmes étaient appelées « computers ». En d’autres termes, le nom de la machine elle-même trouve son origine dans une fonction féminine. Mais comme cette étymologie a été passée sous silence, tout a été masculinisé. Il en va de même pour la « course des spermatozoïdes ». On raconte aux enfants que les spermatozoïdes, au terme d’une course folle s’engouffrent dans l’ovule. Mais c’est exactement le contraire : c’est cet œuf intelligent qui attire à lui des millions de cellules idiotes. Même dans cette simple explication biologique, le pouvoir hiérarchique dans lequel s’inscrivent aussi le genre et la technologie trouve son expression.
Diana : En effet, le patriarcat n’est pas un simple mot issu de l’histoire politique ; il exerce un impact réel. Nous essuyons aujourd’hui encore les conséquences d’une science développée par les hommes blancs, dans laquelle ils ont projeté leurs problèmes personnels. C’est ainsi qu’ils ont décrété que la programmation, tout comme la science, était objective et « dure ». Pourtant, certaines découvertes scientifiques auraient été totalement différentes si les femmes avaient contrôlé la science.

Ada : De nombreuses cyber-féministes voient dans le développement des technologies de nouvelles possibilités pour se libérer du patriarcat : dans le cyberespace, le corps n’est plus biologique, le genre devient fluide et la structure du web digital démantèle la hiérarchie masculine qui domine le monde. Le (cyber)féminisme deviendra-t-il superflu au troisième millénaire ?

Diana : Dans tout cet enthousiasme, il est important de spécifier de quelle technologie il est question lorsque nous parlons de la libération de la femme par les évolutions technologiques. Ce ne sont pas seulement les technologies digitales de l’information et de la communication mais aussi les évolutions de la biotechnologie qui exercent une influence sur la vie, le travail et le corps des femmes.


Betty (SexyShock)
Betty : Dans le cadre de Sexyschock, notre attention se porte surtout sur les techniques de reproduction assistée (11), car cette branche de la biotechnologie revêt de nombreux impacts en termes de genre et de race. Le slogan de Venus Matrix : « Le corps féminin est le plus grand champ de bataille » est ici applicable au sens littéral : le corps féminin est devenu un laboratoire et une mine d’or pour des applications médicales et pharmaceutiques lucratives et souvent non-testées. A nouveau, le féminisme est confronté à la maternité culturellement obligatoire, l’invasion, la surveillance et le contrôle sur le corps féminin.
Nat : L’intelligence artificielle (IA) et la vie artificielle constituent un autre champ biologique important, qui exige l’attention des (cyber)féministes. Alison Adam (12) et Sarah Kember (13) ont déjà révélé que le monde de l’IA a été totalement masculinisé et que la logique (masculine) utilisée s’avère ne pas fonctionner dans le domaine de la vie artificielle. Ce n’est que maintenant que la science découvre que ceux qui veulent développer des systèmes de connaissances doivent recourir à la connaissance de tous et donc également à la connaissance implicite (tactile) à laquelle les femmes sont rompues (l’éducation des enfants, les tâches ménagères, la cuisine, etc.) en raison de cette distribution séculaire des rôles. Or cette connaissance est de plus en plus envisagée par la science comme « allant de soi ».

Lize De Clercq
Octobre 2004

Notes & Liens
(1) Neuro - Networking Europe http://neuro.kein.org/
(2) Nat Muller (NL) auteur, critique et delight-maker freelance. Project Manager et curatrice chez V2_Organisation, Rotterdam et Axis, Amsterdam pour lequel elle a développé l’indicateur Ctrl+Shift Art - Ctrl+Shift Gender. elle est également chercheuse au Theory Department de la Jan van Eyck Academy à Maastricht et membre fondateur du laboratoire artistique belgo-néerlandais FoAM.
(3) Diana McCarty est née et a grandi au Nouveau Mexique (USA). Elle est active sur la scène européennes des nouveaux médias depuis 1993. En tant que membre de la Media Research Foundation à Budapest, elle a été co-organisatrice des conférences MetaForum. McCarty a créé avec Kathy Rae Huffman et Vali Djordjevic la Faces mailing list et est co-fondatrice du bootlab à Berlin et de reboot.fm. Depuis 1999, McCarty vit et travaille à Berlin.
(4) Betty est le nom collectif des membres (surtout féminins) de SexyShock (Bologne, Italie). Ce groupe d’une trentaine d’années qui balancent entre les emplois précaires, utilisent les nouvelles technologies pour dénoncer, d’une manière souvent provoquante, les problèmes entre techniques de reproduction assistée et corps féminin. A partir d’une performance présentée au Hackmeeting italien, SexyShock a produit le vidéoclip ’Donne e tech04’. Pour Portico Donne, l’équivalent italien d’Ada, SexyShock produit aussi le programme webradio ’Bettybecco’
(5) 1st Cyberfeminist International, Documenta X (Kassel, 1997) voir Faith Wilding : Where is Feminism in Cyberfeminism ?
(6) http://www.vifu.de/
(7) Sadie Plant (1997) Zeroes + Ones : Digital Women and the New Technoculture. New York : Doubleday, compte-rendu du livre et interviews [ 1 | 2 | 3 ]
(8) Over Rosalind Franklin : [ 1 | 2 | 3 | 4 ]
(9) Donna Haraway (1991) A Cyborg Manifesto : Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century, in : "Simians, Cyborgs and Women : The Reinvention of Nature". New York : Routledge, pp 149-181
(10) Helen Longino : biographie et bibliographie
(11) Fertilisation in vitro (FIV), insémination artificielle,... (en anglais : Assisted Reproductive Technologies - ARTs)
(12) Alison Adam (1998) Artificial knowing : Gender and the Thinking Machine. New York : Routledge
Alison Adam (2000) Women’s Knowledge and Thinking Machines
(13) Sarah Kember (2003) Cyberfeminism And Artificial Life. New York : Routledge

Liens vers la littérature cyber-féministe
A Report on Cyberfeminism : Sadie Plant vs Vns Matrix - Alex Galloway
Essay on Cyberfeminism as new theory - Jennifer Brayton
The Contested Zone : Cybernetics, Feminism and Representation - Kay Schaffer
Attack of the CyberFeminists - Mary Anne Breeze
The Truth about Cyberfeminism - Cornelia Sollfrank
Cyberfeminism - Nancy Paterson
Cyber-Feminism is the Issue - Artwomen03
Rhizome.org : Search : cyberfeminism

Liens vers des sites et événements cyber-féministes
VNS Matrix http://lx.sysx.org/vnsmatrix.html
old boys network http://www.obn.org/
ConstantVZW http://www.constantvzw.com/cyberf/
cyberfeminismes http://cyberfeminisme.org/
subRosa http://www.cyberfeminism.net/
[faces] mailing list for women in media http://www.faces-l.net/
100 antitheses cyberfeminism is not...
Very Cyberfeminist International
Feminist Approaches to Tactical Media - N5M5
DEAF03 - Data Knitting


Forum de l'article

 
Attribution-NonCommercial 2.0 Belgium