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Au delà du savoir

ADA organise depuis plusieurs années des formations pour femmes adultes, les Senso, destinées à enseigner des bases informatiques sur des laps de temps relativement courts, de manière modulaires, et adaptés aux besoins et demandes d’associations diverses. On trouve dans ces formations des cours de bureautique ou de surf Internet, mais aussi plus ponctuellement des ateliers de hardware ou de montage d’images.

Si les Senso visent souvent un apprentissage de compétences [1], le réseau ADA s’est interrogé sur les « effets secondaires positifs » de ce type d’initiatives. En effet, à côté des capacités informatiques pures et dures que les femmes acquièrent en suivant nos activités, qu’en est-il de leurs attitudes envers la machine ? Sont-elles moins anxieuses, plus intéressées, plus confiantes après leur formation ? C’est ce que nous avons cherché à savoir.

Des attitudes pas anodines

Même si les compétences acquises au terme de la formation sont primordiales, on néglige trop souvent l’importance des attitudes (voir notre focus sur le sujet). Pourtant le sentiment de compétence, l’absence d’anxiété ou l’attraction pour la machine sont primordiaux si on veut deviner ce que les stagiaires feront de leurs connaissances une fois hors de la classe. Maîtriser sans plaisir, sans attrait, sans confiance, équivaut à abandonner, oublier, changer de voie tôt ou tard. Il est donc crucial que les Senso agissent sur ces aspects. En réalité, dans le cadre d’une première initiation à l’informatique, il est sans doute plus important de donner le goût pour la discipline que de fournir de réelles compétences, car ce goût déterminera la persévérance et les formations futures que les personnes entameront par après.

Un questionnaire

Sur base des théories contemporaines des « attitudes envers l’ordinateur » (voir notre focus), nous avons créé deux versions d’un questionnaire [2], à administrer avant et après une formation Senso, de manière à voir s’il y avait une évolution dans les attitudes des participantes. Dans sa version courte, ce questionnaire se penche sur trois grandes dimensions de l’attitude envers l’informatique : le sentiment de compétence personnelle, l’anxiété face à la machine et le plaisir à travailler avec un ordinateur. Dans sa version longue, on retrouve ces trois dimensions, plus un certain nombre d’autres, notamment la perception d’utilité de la technologie (et la peur d’une « technologisation » à outrance de la société) ainsi que l’idée d’une différence hommes/femmes dans la capacité à comprendre et maîtriser les ordinateurs. De manière générale, les participantes ont rempli le questionnaire une première fois au premier cours et une version légèrement différente une deuxième fois, au dernier cours. Chaque fois, le questionnaire était anonyme, de manière à garantir l’honnêteté des réponses.

Formation courte

Nous avons d’abord testé des Sensos courts, réalisés par le centre ATEL à Anvers. Ces Sensos, longs de moins d’une semaine, visent un public souvent peu qualifié. Dans ces groupes, c’est la version courte du questionnaire, comportant six questions, qui a été utilisée. La moyenne d’âge des personnes interrogées était de 51 ans. En tout, nous avons recueilli des données valides pour 47 femmes et 6 hommes.

Avant la formation, les stagiaires ont rempli un premier questionnaire, leur demandant d’indiquer leur accord avec trois types d’affirmations : des affirmations liées à leur intérêt pour l’informatique (par exemple : « j’aime travailler sur ordinateur »), à leur anxiété lorsqu’elles doivent manipuler un ordinateur (par exemple : « Je suis mal à l’aise quand je dois utiliser un ordinateur ») et leur compétence perçue (par exemple : « Je suis nulle avec les machines »). A ce stade, avant d’avoir posé les doigts sur le clavier, on observe les résultats suivants : les personnes qui participent à la formation sont peu anxieuses et aiment l’informatique [3]. Elles estiment leur compétence vers le point milieu de l’échelle : ni bonne, ni mauvaise.

Lorsqu’on regarde les liens [4] entre ces trois facteurs, on note des relations logiques : les personnes les plus nerveuses sont aussi celles qui se sentent le moins compétentes et qui apprécient le moins la machine. La compétence et l’appréciation sont elles liées positivement.

Aucune de ces trois dimensions n’est liée au sexe (mais l’échantillon n’est pas très grand). Par contre, lorsque l’on regarde en fonction de l’âge, on note que plus les personnes sont âgées, moins elles se sentent compétentes. Il y a aussi une tendance à plus d’anxiété, mais elle n’est pas significative. Par contre, l’âge n’a aucun impact sur le plaisir à utiliser l’ordinateur.

Après la formation, les personnes qui y ont participé sont invitées à remplir un nouveau questionnaire, similaire au premier. Cela permet d’estimer l’effet de la formation sur les attitudes envers l’informatique des participants. En réalité, il semble que la formation n’ait eu aucun effet ni sur l’anxiété, ni sur la perception de compétence des personnes. Par contre, l’appréciation de l’informatique a significativement augmenté.

Tableau 1 : Scores d’attitudes avant et après la formation Senso proposée chez Atel

AVANT APRES

Appréciation

.07
1.1

Anxiété

- .07
- .08

Compétence

0.2
0.1

Note : Le degré d’accord avec les affirmations va de -2 à + 2

Ces résultats indiquent que la formation Senso telle qu’elle est proposée chez Atel rend l’informatique plus attractive ! Sa courte durée ne permet sans doute pas de modifier l’idée que les personnes ont de leur propre compétence en matière informatique, et ne réduit pas leur anxiété (qui était déjà basse au demeurant), mais elle n’a en tout cas aucun effet négatif.

Formation de moyenne durée

Chez Interface3, notre centre partenaire bruxellois, nous avons interrogé les femmes participant à des modules bureautique de trois semaines [5]. Là encore, nous leur avons demandé de remplir un questionnaire avant et après leur formation. Les réponses de 54 participantes ont pu être conservées pour les analyses. Ces femmes sont âgées en moyenne de 36 ans et la moitié d’entre elles possèdent un ordinateur à domicile.

A la fin de la formation, outre le recoupement des questionnaires d’attitudes, nous leur avons demandé si elles estimaient que la formation avait changé leur rapport à l’informatique et si elles pensaient que la formation leur serait utile dans les domaines privé et professionnel. A ces questions, les réponses sont unanimes ! 94% des participantes pensent que leur rapport a l’informatique a changé, et elles sont persuadées de l’utilité pratique de la formation à 97% ! L’avantage est surtout marqué dans la sphère professionnelle, où elles pensent que la formation leur sera très utile à 80% (17 % de « assez utile ») que dans la sphère privée, où elles sont 76% à l’estimer très utile (21% « assez utile »).

Au niveau des mesures plus pointues d’attitudes, les résultats sont moins tranchés. Sur les quarante items que comptait le questionnaire, seulement huit ont été affectés par les trois semaines de cours.

Tableau 2

AVANT APRES

Je me sens bien quand j’utilise un ordinateur

0.96
1.82

Les ordinateurs me mettent mal à l’aise

- 1.04
- 1.81

J’aime bien travailler sur ordinateur

1.5
1.8

Je suis nulle avec les ordinateurs

-.06
-1.4

J’ai peur de faire des fautes que je ne saurai pas corriger

0.39
- 0.94

Les hommes deviennent esclaves des ordinateurs

0.36
- 0.44

Il faut être super intelligent pour maîtriser l’informatique

-1.3
- 1.8

On respecte quelqu’un qui maîtrise l’informatique

0.43
- 0.6

Note : les scores vont de -2 à 2. Plus le chiffre est bas, moins la personne souscrit à l’affirmation, 0 étant le point milieu. Tous les scores présentés diffèrent d’une colonne à l’autre.

De manière générale, l’anxiété semble réduite par la formation : les gens se sentent mieux, sont moins mal à l’aise, ont moins peur de commettre des fautes irréparables.

Un seul des items d’appréciation a significativement augmenté. L’absence d’effets sur les autres questions de cette dimension peut s’expliquer par le niveau déjà très élevé de l’intérêt des stagiaires : elles ne peuvent pas réellement apprécier encore plus l’informatique ! Dans le même ordre d’idées, les participantes perçoivent les ordinateurs comme moins dangereux dans un second temps.

Enfin, au niveau de la compétence informatique, les résultats de la formation semblent paradoxaux. On observe une réelle prise en compte des acquis, puisque les femmes se sentent « moins nulles », et une démythification de la difficulté inhérente à l’informatique. Mais en même temps, les femmes, qui désormais maîtrisent mieux la technologie, pensent moins qu’une personne qui comprend l’informatique est respectée. Comme si le fait d’avoir été capable d’apprendre dénigrait la discipline...

Plusieurs remarques doivent être faites au sujet de ces résultats, et notamment du faible nombre de résultats significatifs. La petite taille de l’échantillon est certainement une première cause à souligner : plus de participantes auraient certainement fait apparaître de plus nombreuses différences. Cependant, il est intéressant de noter que de manière générale, avant même la première heure de formation, les attitudes des stagiaires sont déjà très positives. Les femmes se disent peu anxieuses, très intéressées, relativement confiantes en leurs compétences, ce qui est sans doute un signe de leur motivation : après tout, la formation étant volontaire, ces femmes ont choisi de venir suivre ces cours. Les données pourraient donc être un reflet de leur enthousiasme du premier jour. Il est aussi possible que malgré notre garantie à l’anonymat, les stagiaires présentes aient voulu affirmer leur bonne volonté devant des personnes qu’elles ont identifiées comme des encadrantes.

Ensuite, la nature même de la formation, en bureautique, explique peut-être pourquoi les perceptions de compétence ne sont pas altérées de manière plus franche. Utiliser un traitement de texte, aussi gratifiant cela soit-il, reste peut-être encore trop éloigné de la notion d’informatique prise plus généralement et n’aurait alors pas d’effet sur des affirmations liée à la maîtrise générale d’un ordinateur ou de l’informatique. On en revient à l’opposition entre utilisation d’un outil et maîtrise de la machine, chère à ADA.

Enfin, et il faut le souligner, si peu d’items sont affectés, aucun ne l’est négativement. Hormis la perception de prestige, dont la signification pourrait être discutée, la formation a, de manière générale, un effet positif, lequel est reflété dans les appréciations plus directes. Quasiment toutes les participantes estiment avoir un nouveau rapport à l’informatique, et rapportent une impression d’utilité personnelle et professionnelle élevée.

Pour réellement trancher sur l’impact réel de ce type d’initiatives, un testing plus élargi est sans doute nécessaire. Néanmoins, à notre sens, la perception subjective qu’ont nos participantes d’en avoir tiré un bénéfice est en soi une réussite !

En conclusion

Formations courtes ou longues, nos Sensos sont bien reçus par les personnes qui en bénéficient. On pourrait craindre que ces initiations effraient les novices, qui y découvriraient l’étendue de ce qu’il y a à maîtriser et se penseraient incapables d’un jour y parvenir, mais nous n’avons relevé aucun signe d’effets pervers ! Evidemment, il reste que nos stagiaires sont volontaires, et que leur motivation les amène à s’engager dans la formation avec des attitudes largement positives. Ces modestes données nous amènent néanmoins à penser que nos Senso, au delà des compétences qu’ils fournisssent, jouent sur les attitudes des femmes qui y participent, lesquelles rapportent une totale satisfaction ! Alors... Il ne nous reste plus qu’à continuer !

Eleonore Seron
novembre 2006

[1] Mais certains Senso, notamment hardware, sont des activités de découverte avant tout.

[2] Les items utilisés sont largement inspirés du questionnaire classique de Loyd et Gressard (1984).

[3] Ces résultats sont statistiquement différents du point milieu de l’échelle utilisée.

[4] Corrélations effectuées selon la technique de Pearson.

[5] Organisés en collaboration avec Microsoft : Unlimited Potential.


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