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Comment les médias abordent-ils les stéréotypes de genre ?

Stéréotypes à consommer avec modération

Lors de la journée d’étude du juin 2006 sur la lutte contre les stéréotypes dans les médias, organisée par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, les intervenantes ont présentés différents point de vus : certaines se déclaraient en faveur d’une loi anti-sexisme, d’autres préconisaient une meilleure connaissance et diffusion des possibilités de la loi anti-discrimination existante, et un débat public plus important autour de ce thème. ADA trace les grandes lignes du débat, et formule ici quelques solutions.

Depuis la Conférence Mondiale de Pékin sur les femmes en 1995 [1], il a été demandé aux gouvernements, aux responsables du monde des médias et de la publicité, aux organisations de travailleurs et de terrain et aux ONG’s de s’abstenir de diffuser des images négatives et/ou humiliantes des femmes. L’idée en filigrane est que les stéréotypes de genre ou sexuels que l’on retrouve dans les médias mettent un frein à l’égalité entre hommes et femmes, autant du point de vue de l’accès aux technologies de l’information, que plus généralement concernant la participation au travail et aux prises de décisions politiques.


Pour une comparaison
avec des sondages précédents, voir
www.globalmediamonitoring.org

Status quo

Représenter systématiquement les femmes dans les mêmes rôles dans les médias et la publicité, en les cantonnant à la sphère privée, au ménage et à l’éducation des enfants, alors que les hommes sont montrés dans la sphère publique du travail ou du temps libre, donne lieu pour certains, à un status quo. Il reste ‘normal’, pour ne pas dire ‘naturel’ que ce soient surtout les femmes qui travaillent à temps partiel, et les hommes à temps plein ; que les femmes veuillent rarement faire carrière ou gagner ’plus’ ou ’beaucoup’ d’argent ; que les femmes montrent peu d’intérêt pour ce qui est technique, alors que les hommes oui. En d’autres termes, les médias et la publicité feraient en sorte que rien ne change, que la distribution traditionnelle des tâches au sein de la famille de même que la sous-représentation des femmes dans certaines professions et fonctions sociales soient maintenues.

Malheureusement pour ceux qui voudraient s’en satisfaire, les choses sont loin d’être aussi simples. En grande partie parce que les médias et la publicité ne sont qu’un des nombreux facteurs qui jouent un rôle dans la reproduction des structures traditionnelles. Même sans la présence de représentations stéréotypées des hommes et des femmes dans les médias et la publicité, l’exemple de ses parents reste gravé dans les souvenirs de chacun. Et ceci a bien sur une influence, de même que les amis, les collègues lorsqu’il y a des enfants en jeu et qu’arrive l’heure où les partenaires doivent faire des choix pour parvenir à concilier vies professionnelles et privées. Sans oublier que le réalisme joue souvent un rôle essentiel dans ces choix : c’est le membre qui rapporte le salaire le plus élevé et dont les possibilités d’avancement sont les plus importantes qui continue à travailler à temps plein, car cela entraînera une perte moins importante - il faut parvenir à payer les emprunts ! Et comme les femmes gagnent généralement moins que les hommes, le choix est rapidement fait.

Du coup, même dans le secteur informatique qui souffre actuellement d’un important manque de main d’œuvre [2] - et où tout est fait pour, d’une part, garder un maximum de femmes dans le secteur et, d’autre part, en attirer d’autres - on bute encore et toujours sur les mêmes problèmes : le fossé salarial entre hommes et femmes, une répartition des rôles stéréotypée, des attitudes et des années de socialisation [3] dans lesquelles la combinaison ’femmes et technique’ ne va pas de soit...

La faute des médias ?

Pointer du doigt sans la moindre nuance les médias et la publicité en disant : “C’est la faute des médias”, n’est donc pas vraiment adapté. Une déclaration de ce genre ne fait que mettre un bouc émissaire en évidence. Facile, vu que les médias, et plus particulièrement la télévision, ont déjà le mauvais rôle dans tant de domaines : ils corrompent nos enfants, sont superficiels, vantent le matérialisme, l’individualisme, l’égoïsme, etc. La publicité représente aussi un bouc émissaire aisé, puisqu’elle est manipulatrice par essence : par définition, la pub veut nous vendre quelque chose, et lorsque nous nous laissons prendre, nous préférons ne pas nous pencher sur nos attentes avouables ou non, et plutôt rejeter la faute sur ces ’gars de la pub’ tellement abhorrés.


Une pub typique de poudre à lessiver :
les hommes ont la connaissance,
les femmes observent

Cela signifie-t-il pour autant que les médias et la publicité ne jouent pas le moindre rôle dans la conservation des rôles établis et la sous-représentation des femmes, qui en découle, à certains emplois et fonctions ? Loin de là. Mais les médias ne sont pas à l’origine des rôles stéréotypés, ni, par exemple, de la violence dans notre société. Ce n’est pas parce que quelqu’un voit un meurtre à la télévision qu’il va se mettre à commettre des meurtres dans la réalité. Il faut plus que cela pour commettre un meurtre, notamment un motif. Il en va de même avec les rôles hommes-femmes stéréotypés dans les médias. Il ne suffit pas de voir un homme ou une femme faire la lessive dans une publicité pour modifier son comportement et se mettre, à faire la lessive. Ici aussi, il en faut plus, il faut des facteurs autres, qui peuvent être indépendants des images hommes-femmes montrées dans les médias. Par exemple des raisons objectives ou des raisons qui remontent à l’éducation, qui conduisent des partenaires à mettre en place telle ou telle répartition des tâches ménagères. Il suffit de jeter un œil sur la répartition des tâches au sein d’un couple gay ou lesbien pour en avoir la preuve.

Le pouvoir des médias

Si les médias ont une influence sur nous, c’est parce qu’ils s’installent dans un terreau fertile. Pour reprendre l’exemple du meurtre, celui qui a au préalable des envies de meurtre ou une forte tendance à la violence, pourra sans doute, suite au visionnage d’un film violent, sentir de manière plus importante le besoin de violence monter en lui que quelqu’un qui ne présente aucune de ces tendances. Celui qui n’est pas prêt à pratiquer un partage des tâches ménagères traditionnel se sentira plus renforcé dans son choix en regardant une publicité reproduisant les stéréotypes dans le domaine, que quelqu’un qui désire faire le choix inverse. Le moindre petit doute peut suffire pour se laisser influencer par ce qui se passe dans les médias. Il suffit de penser à l’objectif de la publicité électorale : s’assurer le vote des hésitants.

La force des médias se situe dans l’encouragement : pour que le message ait un effet, il faut que celui ou celle qui le reçoit y soit réceptif-ve. Une publicité pour une nouvelle voiture n’aura pas d’impact sur celui qui ne souhaite pas acheter de voiture, mais bien sur tous ceux qui, à ce moment-là, envisagent l’achat d’un véhicule. [4] Ce raisonnement peut être appliqué à d’autres exemples tirés des médias, comme la présentation d’images de certains emplois à la télévision. Le problème reste que dans notre société, et par contamination dans les médias, un bon nombre de ces images d’emplois sont genrées, et que le sexe est un facteur déterminant d’identification.


Publicité entrecroisant
les rôles de SN Brussels Airlines (2004)

Trop peu d’encouragements

Il est un fait que les médias et la publicité représentent souvent les femmes dans des situations en relation avec la sphère privée, et les hommes avec la sphère publique. [5] Si on tient compte de la notion de ’sexe’ en tant que facteur d’identification, on se rend compte que les médias ne stimulent pas vraiment les femmes à s’investir dans la sphère publique, ni les hommes à prendre en charge un certain nombre de tâches liées à la sphère privée.

Le problème des médias et de la publicité n’est dès lors pas qu’ils répètent les stéréotypes sexuels ou de genre - associer les femmes à la sexualité, le ménage, les enfants, la beauté extérieure,... - mais bien qu’ils n’offrent que peu d’images alternatives de femmes inversant, entrecroisant ou transgressant les rôles, alors même qu’elles existent bien dans la réalité. Des messages reliant femmes et technique, puissance, pouvoir, persévérance, intelligence, sagacité financière, direction, esprit d’entreprise, etc. ne sont que très rarement présentés, dans la réalité - par les parents, professeurs ou enseignants - et dans les médias.

Loi anti-sexisme

Si les médias et la publicité ont un pouvoir en termes de ’modèles de rôles’, il se situe clairement dans l’absence ou la présence de discours différents, alternatifs. Ceux qui plaident pour plus de diversité dans les médias présentent régulièrement, depuis plusieurs années, des propositions pour que dans leurs discours, les médias traitent hommes et femmes sur un pied d’égalité, qu’ils fassent preuve, en tant que médias et publicitaires [6], d’intelligence, de discernement, et présentent une représentation équilibrée et non stéréotypée des hommes et des femmes.

Malheureusement, l’histoire récente nous montre que les médias et la pub ne sont pas prêts à suivre cette voie-là. Même lorsqu’en 1995 les Nations Unies ont décidé de s’en mêler, et que la problématique de la mise en pratique fut abordée au niveau européen, peu de concepteurs de médias ont réagi. Et s’ils ont, à l’époque, travaillé à l’une ou l’autre charte [7], elle prend depuis la poussière sur la liste des ’choses à faire’. Et comme aucune sanction n’a été prévue, les médias et le monde de la publicité peuvent en toute quiétude répéter les stéréotypes de genre. Ni les femmes ni les hommes ne se voient abordés via leur diversité, encore moins encouragés à développer leurs capacités au maximum.

Quant à savoir si la proposition de loi du parti francophone Ecolo [8] « tendant à réprimer certains actes inspirés par le sexisme » pourra apporter une solution, la question reste ouverte. La proposition de loi ne va pas beaucoup plus loin que la loi anti-discrimination [9] existante. Cette dernière interdit toute forme de discrimination directe ou indirecte basée sur l’origine, la conviction religieuse ou philosophique, le sexe, l’âge, l’orientation sexuelle, le handicap, etc..

D’après Isabelle Durant, Secrétaire Fédérale d’Ecolo, venue présenter le projet de loi à l’occasion de la journée d’étude sur les stéréotypes de genre dans les médias [10] du 27 juin 2006, la proposition aurait essentiellement une fonction d’alerte : “Considérer juridiquement le sexisme comme une blâmable devrait permettre aux hommes et aux femmes de laisser évoluer leurs conceptions stéréotypées et ainsi ne plus pratiquer la discrimination sur base du sexe. Une loi offre une charpente à notre société, et détermine les limites de ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.”

Discrimination indirecte

Même si le projet de loi évoqué plus haut tente de lutter contre les discriminations sur base du sexe, reste la question de savoir si toutes les définitions de discriminations directes ou indirectes, comme on les retrouve dans la loi anti-discrimination de 1993 (2003) ou ce projet de loi de 2006, pourraient effectivement être appliquées aux médias et à la publicité.


Classique dans nombre de publicités TIC :
les hommes sont assis derrière l’ordinateur,
les femmes sont tout près et regardent.
(spot Telenet, 2006)

Peut-on accuser les médias de discrimination sur base du sexe parce qu’ils n’encouragent pas suffisamment les femmes à s’investir dans la sphère publique, ou les hommes dans la sphère privée ? L’absence ou le peu d’images de femmes dans la sphère publique - par exemple sur le lieu de travail, correspond d’ores et déjà à l’art.2§2 de la Loi anti-discrimination de 2003 : “Il y a discrimination indirecte lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre a en tant que tel un résultat dommageable pour des personnes”. Mais on peut lire plus loin : “... à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne repose sur une justification objective et raisonnable.”

La question exacte consiste donc à déterminer si les médias et le monde de la publicité peuvent justifier objectivement et raisonnablement leur manière d’agir. Une chaîne de télévision, un concepteur de programme, un publicitaire peuvent-ils justifier le fait qu’ils proposent plus d’images d’hommes d’affaires que de femmes d’affaires, plus de femmes au foyer que d’hommes au foyer, plus de mères qui s’occupent de leurs enfants que de pères, plus de femmes sexy que d’hommes sexy, plus d’hétéros que d’homos, plus de femmes jeunes et minces que vieilles et bien en chair,... plus d’informaticiens que d’informaticiennes ? Les médias peuvent déjà en grande partie en appeler à la réalité des choses : il y a effectivement plus d’hommes d’affaires, de managers, d’ingénieurs, d’informaticiens,... que de versions féminines ; et plus de femmes qui s’occupent du ménage, des courses, et des enfants, qui s’inquiètent de leur apparence et veulent rester jeunes, minces et sexy.

Appliquer la loi anti-discrimination aux médias et à la publicité est, et reste, une mission ardue. Au mieux, on devrait pouvoir, en jonglant avec toute une série de chiffres et de statistiques, demander à ce que les médias - pour ne pas adopter une attitude discriminatoire - se fassent le miroir du nombre véritable d’hommes et de femmes dans tel ou tel rôle.

Wanted ! Des publicités women friendly, ou qui renversent les rôles.
Avez-vu les mois derniers une publicité dont vous avez pensé : "ça, c’est une publicité qui renverse les rôles habituels" ? Si oui, alors faites le savoir à Zorra ! La pubilicité sera peut être sélectionnée pour la 8 ième édition du prix public de Zorra 2006.(*) Contact :zorra@ua.ac.be (*) Vous pouvez voir les les gagnants des années précédentes sur www.zorra.be.

Les médias amis ou ennemis ?

Et si, au lieu de considérer les médias et la publicité systématiquement comme des ennemis, de les rendre responsables de tous les maux, on considérait qu’ils sont nos amis, ne serait-ce pas plus intéressant ? Il est indéniable que les médias ont un impact important sur notre manière de penser, de faire ou ne pas faire. Mais ni les médias, ni la publicité ne peuvent nous vendre quelque chose dont nous ne voulons pas. Si notre société veut limiter les stéréotypes de genre, parce qu’ils empêchent l’égalité entre hommes et femmes, il faut aussi faire remarquer qu’il existe un terreau pour les messages entrecroisant les rôles.

C’est la raison pour laquelle, lors de la journée d’étude de juin 2006 précitée, certaines intervenantes, comme la juriste Nathalie Kumps et la chercheuse Corine Van Hellemont (par ailleurs auteur de cet article), se sont déclarées en faveur d’un renforcement du débat public autour des stéréotypes de genre, via, par exemple, des séminaires, des lectures, des séries de cours et d’éducation aux médias dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, des ateliers, des forums de discussion et des événements (comme par exemple : le Prix du public ZORRA pour la publicité la plus favorable aux femmes ou entrecroisant le plus les rôles [11], l’exposition ADA sur les bonnes et mauvaise pratiques en termes d’images dans les TIC [12], les pièces de théâtre lancées par ADA [13], sans oublier les nombreux articles qui paraissent ci et là dans la presse, ainsi que sur le site ADA).


PAR : Outil de monitoring des médias
Plus d’info sur :
www.vrouwenstudies.be/par

Le milieu académique est également prêt à soutenir les médias et la publicité en faisant régulièrement du monitoring de média, comme l’a souligné la Professeure dr. Magda Michielsens qui a profité de la journée d’étude pour présenter l’instrument d’analyse gratuit PAR [14] Les résultats d’un monitoring de genre comme celui-là permettent aux producteurs de médias de s’auto-évaluer régulièrement. Des actions du même genre ont déjà lieu au niveau mondial via le Global Media Monitoring Project qui scanne, tous les cinq ans, les médias sous l’angle du genre [15]. Mais ceci n’est pas encore d’application au niveau européen, et encore moins belge.

A consommer avec modération

Qu’il y ait ou non une loi anti-discrimination, ou une loi anti-sexisme, il n’existe pas vraiment de manière d’obtenir une plus grande diversité de genre dans les médias. Car le principe moral de responsabilité sociale est immédiatement balayé dès que l’on tente de mettre les points sur les i. Du côté des diffuseurs commerciaux, on entend : “Ce n’est pas notre rôle d’éduquer le spectateur, nous sommes là pour le divertir.” Dans le service public : “On veut bien montrer des femmes dans tel ou tel type d’emploi, mais on en trouve pas.” Et chez les concepteurs de pub : “Le sexe vend”.

Ne reste-t-il donc plus d’autre solution que de relancer le débat public et tenter de, d’abord, nous changer nous-mêmes pour ensuite se faire entendre par les médias ; et que les médias et la publicité utilisent enfin les stéréotypes de genre avec modération et discernement ? C’est-à-dire en les entrecroisant, en les contrecarrant, en les mettant sans dessus-dessous, en jouant avec eux, comme on le fait dans certaines publicités ou programmes télé. Il suffit de penser aux pubs qui ont été nominées pour le prix du public ZORRA. [16]

Mais peut-être pouvons-nous commencer en consommant nous-mêmes avec modération les stéréotypes présents dans les médias ! Pas besoin pour autant de les déconstruire complètement, même si cela pourrait aider. [17]


Spot tv “Vacature m/v”
avec croisement des rôles (1999).
voir le spot sur www.zorra.be

Ce qui est important, c’est d’en parler avec discernement, avec le plus de personnes possible, et de tenter de comprendre pourquoi un média ou un publicitaire a précisément choisi cette image et pas une autre pour faire passer son message. Une fois que l’on connaît la cause, l’effet pervers des médias - qui reproduisent les stéréotypes de genre et maintiennent ainsi la sous-représentation des femmes dans certaines professions ou fonctions - perd déjà une bonne partie de sa force. Les stéréotypes sexuels ou de genre dans l’image sont montrés comme tels, et donc considérés comme une généralisation sur base d’observations réelles, ou non.

Déconstruction

Prenons comme exemple la publicité diffusée en 2006 pour le magazine masculin Ché. L’image montre une jeune femme portant de la lingerie. Elle est au lit et regarde la caméra d’un air séducteur. Le câble d’une manette Playstation est relié à son nombril. Sans déconstruction profonde de cette image, on peut parfaitement ’lire’ cette publicité comme ’sexiste’ : une jeune femme, sexy et séduisante, à moitié nue, présentée dans la sphère privée de la chambre à coucher. En plus, elle ne se trouve pas derrière un appareil IT - dans le cas présent, une Playstation - elle y joue encore moins, mais elle est reliée à la commande manuelle, ce qui suggère qu’elle peut être dirigée par quelqu’un d’autre. Et que la femme, exactement comme l’objet inerte qu’est une Playstation, attend passivement que quelqu’un la mette effectivement en mouvement.


Affiche pour le magazine masculin “Ché” (2006).
Peu respectueux des femmes
ou mise en image du stéréotype
de la sexualité masculine ?

Le slogan, “Keep on dreaming of a better world”, associé au sous-titre accompagnant le logo Ché, “Men’s Magazine” peut également être interprété comme étant choquant, comme si les femmes devaient répondre à cette image pour avoir la moindre valeur aux yeux des hommes.

Mais si on déconstruit l’image, on peut aussi bien lire cette publicité comme une image faite par des hommes, pour des hommes, qui rient du stéréotype de la sexualité masculine, dans lequel les clichés selon lesquels les hommes aiment jouer avec des boutons et veulent une satisfaction sexuelle immédiate jouent un rôle important. Renforcé par le slogan “Keep on dreaming of a better world” qui peut aussi faire rire, en forme d’auto-dérision, d’ultime stéréotype de l’imagination masculine. Un slogan qui dirait : “Allez, les gars, vous pouvez bien rêver, ça ne fait pas de mal, mais n’imaginez pas que vous pouvez vous servir des femmes comme d’une Playstation ”.

Filtre personnel

Les images sont vieilles comme le monde. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui, leur quantité a explosé, et continue d’augmenter de manière exponentielle. Plus que jamais, les images font référence à un nombre incalculable d’autres images, et ce nombre considérable ne peut être maîtrisé par tout le monde. De plus, hommes et femmes aussi égaux soient-ils, ne partagent pas toujours à cent pour cent les mêmes expériences, ce qui signifie que des images qui sont vues par des hommes ne sont pas perçues de la même manière par des femmes, et inversement. Ce qui fait rire l’un peut être choquant pour l’autre.

Il suffit parfois d’une fraction de seconde à notre cerveau pour qu’il fasse passer une image par tout le filtre de nos souvenirs personnels, expériences, images précédemment vues, découlant du monde réel ou imaginaire, comme la télé, la littérature, le cinéma, l’art, etc. Savoir prendre conscience de cela, peut, tout comme la déconstruction, aider à prendre une certaine distance vis-à- vis des stéréotypes dans les médias.


Spot télé pour la marque de whisky
“William Lawson’s” (2005) présentant l’homme
en tant qu’objet de désir.

Déconstruire et filtrer, et rire sainement face à toutes ces représentations d’objets de désir dans les médias peut, dans de nombreux cas, faire des miracles. Le rire n’est pas seulement bon pour la santé, il permet aussi de relacher la pression, comme en témoigne le fou-rire jamais égalé de Sharon Stone dans le spot télé de 2005 pour la marque de whisky William Lawson’s. Il va de soi que si on a pas vu le film “Basic Instinct” [18], il manque inévitablement un élément de filtre collectif.

Les enfants et les stéréotypes sexuels

Pas besoin d’un dessin pour faire comprendre que les enfants sont sensibles aux stéréotypes. Leur cerveau n’est pas encore assez développé pour pouvoir faire des abstractions et ce à divers niveaux. C’est pour cela que l’on constate dans les recherches que les enfants qui regardent beaucoup la télé pensent plus en termes de stéréotypes de genre que ceux qui sont moins confrontés au petit écran [19]. L’offre de stéréotypes de genre dans les médias est bien plus importante que celle des images alternatives ou entrecroisant les rôles.

Et évidemment, arrive un âge auquel l’enfant parvient à penser l’abstraction, et peut mettre les stéréotypes de genre en question, les mettre entre parenthèses, et regarder le monde de manière plus nuancée. La question reste de déterminer quel travail cela va demander pour extraire toutes ces images qui ne collent pas à la réalité, et qui ont été introduites dans le cerveau par la consommation de médias. Ou au moins parvenir à ce qu’ils en fassent abstraction, pour que le moins de personnes possible aient à en souffrir. Autant d’images internes qui auraient pu être évitées si les médias avaient mieux reflété la réalité.

Abstraire et entrecroiser

Même quand il est possible de penser l’abstraction, il y aura toujours des gens qui prennent leurs rêves pour la réalité, des gens qui voudront conserver leurs stéréotypes intérieurs. Des gens, par exemple, qui, lorsqu’il s’agira de concilier vies professionnelle et privée, mettront en avant la ’nature’ de la femme, pour échapper tant que faire se peut à toute une série de tâches ménagères peu amusantes.

Même les magazines masculins, en tout cas en Flandre, parviennent les uns un peu plus que les autres à percer le stéréotype de la femme en tant qu’objet de désir, en accordant de l’espace rédactionnel aux « babes », et en leur permettant - à travers des interviews -, de se présenter en tant qu’individues, en tant que sujet plutôt qu’objet, avec leurs propres attentes et aspirations, et une sexualité propre. Et vu le succès des ces magazines, le message qui détourne l’image d’objet sexuel est perçu aussi bien par les 80% de lecteurs que par les 20% de lectrices.

Ceci ne suggère pas que la presse parlée et écrite, la télévision et/ou le cinéma ont une tâche plus facile que le milieu de la publicité pour percer à jour les stéréotypes sexuels. La publicité doit parvenir, en un clin d’œil ou en un spot de quelques secondes à transmettre un message, là où la presse écrite ou parlée, la télévision et le cinéma ont une bien plus grande marge de manœuvre.

Stéréotypes pratiques

En publicité, il est aisé de faire appel aux stéréotypes : grâce à un stéréotype compris par la majorité du public-cible, on peut très facilement faire passer un message. Tout le monde comprend immédiatement de quoi il s’agit. Le fait que l’on oublie encore trop souvent qu’entrecroiser, inverser ou mettre sans dessus dessous les stéréotypes de genre et les autres clichés peut se faire en un clin d’œil ou en vingt petites secondes, en dit peut-être beaucoup sur la culture et la créativité des médias et du monde de la pub et du marketing. Mais cela montre surtout la peur de sortir des sentiers battus de la part des entreprises commanditaires.

Utiliser des stéréotypes de genre, pour l’annonceur, c’est travailler en terrain sûr, ne prendre aucun risque financier. Cela pourrait être très amusant pour une société de pub d’entrecroiser les stéréotypes de genre, de jouer avec eux, mais si le spot fait un flop, ce n’est pas la boîte de pub qui y perd financièrement, mais le client. Réaliser des publicités déconstruisant les rôles signifie pour l’annonceur prendre des risques, mais aussi être persuadé que le public est prêt à le suivre.

Comme dit plus haut, il n’y a pas vraiment de bâton punitif prévu pour mettre un frein au flot de représentations simplistes et partiales des hommes et des femmes dans les médias, ni pour obliger à utiliser des représentations alternatives ou entrecroisées. Quant à savoir si une loi anti-discrimination ou anti-sexisme pourrait être appliquée aux médias et à la publicité, c’est une autre question. Et serait-ce souhaitable ? La seule notion à laquelle on puisse faire appel pour l’heure est celle de responsabilité sociale.

Jury d’Ethique Publicitaire


Jury d’Ethique Publicitaire
(JEP)
www.jepbelgium.be

La notion de « responsabilité sociale », ainsi que les notions de « décence », « dignité humaine » et « ne pas perpétuer des stéréotypes » sont reprises dans les règles du Jury d’Ethique Publicitaire (JEP) [20] en matière de représentation de la personne. Malheureusement, ces règles ne peuvent empêcher le flot d’images reproduisant des stéréotypes de genre qui sont produites et montrées chaque année en Belgique dans la publicité.

Le JEP se limite à examiner certaines publicités au cas par cas, et le cas échéant à recommander qu’elles ne soient plus diffusées. Ceci vise essentiellement des déclarations ou présentations visuelles qui offenseraient la décence selon les normes couramment admises, qui porteraient atteinte à la dignité humaine, qui seraient discriminatoires, ou inciteraient à la violence.

En d’autres termes, il n’y a aucun intérêt à porter plainte auprès du JEP à propos du fait que, chaque année, les femmes se trouvent représentées dans 1001 publicités uniquement dans la sphère privée de la cuisine, de la chambre à coucher, de la chambre des enfants, en train de nettoyer, et pratiquement jamais dans la sphère publique du travail. Et encore moins d’argumenter que cela va à l’encontre de la décence, que cela porte atteinte à la dignité humaine, ou que cela cautionne des discriminations dans le milieu du travail.

Sur base de ses règles d’éthique, le Jury ne peut traiter les publicités qu’individuellement, c’est-à-dire une par une, au cas par cas, et non la production totale. Et c’est justement cette déferlante d’images partiales et simplistes des hommes et des femmes qui construisent une idée plus générale qui s’oppose dans les faits à l’égalité des sexes si on ne parvient pas à les considérer comme des abstractions ou à les déconstruire. Néanmoins il est important de rappeler à cet égard que les décisions prises par le JEP constituent aussi une « jurisprudence » que les annonceurs peuvent consulter sur le site jepbelgium.be. C’est une façon pour le JEP d’influencer indirectement les tendances.

L’action la plus extrême que le JEP (ou plutôt le Conseil de la Publicité) et les boîtes de pub pourraient réaliser, sous forme de clin d’oeil, serait de placer un avertissement sur toute publicité mettant en images un stéréotype sexuel : “Stéréotypes à consommer avec modération !”

Agir à deux niveaux

Rendre les médias responsables de tout, cela n’a pas de sens. Par contre, ce qui est sensé, c’est d’agir à deux niveaux. En tant que consommateur de médias, apprendre à consommer les stéréotypes avec discernement, et, en même temps, faire comprendre aux publicitaires et aux médias via des dizaines de voies que, contrairement à ce que l’on suppose par facilité, le public est ouvert et prêt à accueillir des représentations alternatives et entrecroisées des femmes et des hommes. Et même plus : montrer aux annonceurs qu’ils ne doivent absolument pas avoir peur de quitter les sentiers éculés des stéréotypes de genre et de créer des publicités entrecroisant les rôles, d’autant plus si on y intègre l’humour nécessaire.

Par ailleurs, une éducation aux médias sur la base du genre devrait être donnée dans l’enseignement primaire et secondaire, ainsi que dans le supérieur dans les branches portant sur la publicité et le marketing et par ailleurs, il faudrait rendre possible un gendermonitoring pour les médias.

Ce que l’on entend par cela, c’est une éducation aux médias grâce à laquelle tout un chacun peut prendre ses responsabilités. Demander aux producteurs de médias de prendre leurs responsabilités et de faire usage des stéréotypes de genre avec discernement dans leurs productions et aux consommateurs de les consommer eux aussi avec discernement. Encourager les producteurs de médias à utiliser des images croisées des femmes et des hommes, et les consommateurs à montrer qu’ils ne sont pas aveugles à ce genre de chose. Et pour que tout cela fonctionne, un gendermonitoring des médias est nécessaire, de sorte que les concepteurs de médias puissent régulièrement s’auto-évaluer, mais aussi évaluer leur public.

Dans cette configuration, on laisse la place au dialogue, un dialogue qui garantit l’apparition de solutions complémentaires ou plus satisfaisantes que les deux possibilités évoquées ci-dessus.

Corine Van Hellemont
septembre 2006

[1] Fourth World Conference on Women - The United Nations. Beijing, China - September 1995. Action for Equality, Development and Peace. Strategic objective J.2. : “Promote a balanced and non-stereotyped portrayal of women in the media”, http://www.un.org/womenwatch/daw/beijing/platform/media.htm#object2

[2] 13.000 postes à pourvoir en informatique

[3] La socialisation différenciée

[4] du Plessis, E. (2005). The Advertised Mind : Ground-Breaking Insights Into How Our Brains Respond to Advertising, Kogan Page.

[5] Michielsens, M.(1991). Vrouwen in de kijker. Hoe brengen TV1 en TV2 de vrouw in beeld ? Bruxelles : BRTN. Michielsens, M. ; Saeys, F. ; & Spee, S. (2000). Beeldvorming m/v. diversiteit en emancipatie Impulsproject “Grenzen van de mediale constructie van gender”. Diepenbeek : Limburgs Universitair Centrum. Michielsens, M. & Spee, S. (1999). Grenzen aan de mediale constructie van gender. Analyse van de maatschappelijke en ethische argumentaties in verband met beeldvorming (v/m) in de media. Anvers : UIA. Voir aussi les résultats 2005 du Global Media Monitoring Project. http://www.globalmediamonitoring.org/who_makes_the_news/top_10_highlights .

[6] Michielsens, M., Celis, K., ; & Delhaye, C.(1995). Créez une femme in D’image en image - Les femmes dans les médias et la publicité, recherche menée à l’initiative de la Ministre de l’Emploi et de l’Egalité des chances Miet Smet, 1995 Van Hellemont, C., Michielsens, M. (2003) Reclamecode-onderzoek. Onderzoek naar richtlijnen en aanbevelingen inzake de representatie van mannen en vrouwen in reclame. Ed. Vrouwenstudies/UA. http://www.zorra.be/mediawatchdogs/Guidelines/Reclamecode-onderzoek2003.pdf Gallagher, M. (2001). Gender setting : new agendas for media monitoring and advocacy. London : Zed books. Voir aussi « Portraying Politics - a Toolkit on Gender and Television » sur le site www.portrayingpolitics.org.

[7] Charte de l’UER, repris dans le collège d’avis du CSA : « Egalité, multiculturalité et inclusion sociale. Présence et représentation des femmes dans les services de Radiodiffusion », p.3. Pour la Belgique, seule la BRTN (VRT) a signé la charte. http://www.csa.be/pdf/CAV_20060704_ Femmes.pdf

[8] Proposition de loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le sexisme, http://www.dekamer.be/FLWB/PDF/51/2663/51K2663001.pdf

[9] Loi du 25 février 2003 pour lutter contre la discrimination et revoyant la loi du 15 février 1993 portant sur la mise en place d’un Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, http://www.ejustice.just.fgov.be/doc/rech_f.htm http://www.diversiteit.be/CNTR/FR/discrimination/general/DNR+explications+loi+AD.htm

[10] “Lutter contre les stéréotypes de genre : le gender mainstreaming comme outil de changement ?”, journée d’étude organisée le mardi 27 juin 2006, par l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH), http://www.iefh.fgov.be

[11] www.zorra.be

[12] Exposition ADA

[13] Les pièces de théâtre ADA et les témoignages vidéo CDrom “Informatisons”

[14] PAR : instrument d’analyse pour chercheurs, journalistes, associations de femmes et autres spécialistes des médias http://www.vrouwenstudies.be/par

[15] Voir les résultats du Global Media Monitoring Project (GMMP) 2005 et précédents sur http://www.globalmediamonitoring.org. 76 pays ont participé au monitoring en 2005, parmi lesquels l’Universiteit Gent pour la Belgique.

[16] Les publicités nominées et gagnantes du prix du public ZORRA depuis 1999 peuvent être vus sur www.zorra.be.

[17] Pour info : ADA met actuellement la dernière touche à un instrument pédagogique permettant d’analyser les images de femmes et de nouvelles technologies, de les comprendre et de les déconstruire. Vous en apprendrez plus dans la prochaine Newsletter ADA.

[18] "Basic Instinct", film de Paul Verhoeven, 1992.

[19] The influence of television on children’s gender role socialization : a review of literature, by Susan D. Witt, Ph.D. The University of Akron. http://gozips.uakron.edu/ susan8/arttv.htm

[20] Jury d’Ethique Publicitaire (JEP), www.jepbelgium.be


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