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Les travers de la mixité scolaire

La mixité dans les écoles est souvent considérée comme une grande avancée pour l’égalité des sexes. Pourtant, certains pensent que le retour à des classes non-mixtes aurait l’avantage de résoudre deux problèmes : les faibles résultats des garçons et le désintérêt des filles pour les matières traditionnellement masculines comme les mathématiques ou les sciences. Dans le foisonnement de données souvent contradictoires et d’initiatives multiples, Ada essaie de faire un premier point sur le débat.


® Wells College

Aujourd’hui, en Belgique, la question de la mixité scolaire ne se pose plus : on considère bénéfique et égalitaire cette organisation qui mélange filles et garçons dès leur plus jeune âge, sur les bancs de l’école. Pourtant, de plus en plus d’initiatives, dans le monde anglo-saxon (1), proposent de revenir à des classes unisexes, du moins pour certaines activités. Deux grands problèmes motivent généralement le retour à cette organisation : le peu de filles qui s’orientent vers les filières scientifiques et techniques et les faibles performances générales des garçons.


® Richard York

Depuis quelques années, les faibles résultats des garçons inquiètent, surtout dans les pays anglo-saxons. Dissipés, ils se désinvestissent de la sphère scolaire, alors que les filles réussissent de mieux en mieux. Certaines écoles ont dès lors décidé de mettre en place un enseignement différencié pour chaque sexe, notamment dans les classes où les garçons manifestent le décrochage le plus important, à savoir les cours de langue maternelle. L’idée que l’absence des filles aura un effet bénéfique sur les résultats des garçons dérive de plusieurs facteurs. D’abord, en n’ayant que des garçons, l’enseignant peut orienter son cours en fonction de leurs goûts, manières d’apprendre et lacunes, notamment en expression écrite et verbale. Ensuite, les filles sont vues comme une forme de distraction : les garçons se donnent en spectacle pour attirer leur attention. Enfin, sans les filles, le risque d’associer la sphère scolaire à quelque chose de féminin (puisque les filles réussissent mieux, sont plus appliquées, plus motivées) et donc de non-masculin est réduit. L’idée est que, plus axés sur la compétitions, les garçons investiraient d’autres sphères, où ils sont les meilleurs, pour éviter la domination des « premières de classe ». Cependant, les données sur ces initiatives sont peu unanimes. Aux USA, si les écoles de garçons sont classées parmi les meilleures, c’est simplement parce qu’elles sont élitistes et privées, réservées à une frange de la population qui, de toute façon, à un avantage scolaire certain. Dans les initiatives plus ponctuelles, où un cours est non-mixte au sein d’une école mixte, les résultats ne sont pas probants : les classes de garçons apparaissent comme plus dissipées et agressives (2) que les classes mixtes, le sexisme s’y développe et y est exprimé sans crainte, les résultats des étudiants ne semblent pas spécialement meilleurs, sauf quand le groupement se fait entre individus de même niveau. Dans ce cas, les bons étudiants profitent de la non-mixité, tandis que les étudiants faibles en profitent pour chahuter davantage (3). Il est aussi intéressant de noter que les garçons réclament le retour à la mixité, beaucoup plus que les filles.

Des filles pour la science


® University of Michigan

La mixité ne parvient pas non plus à empêcher la reproduction de la ségrégation sexuelle dans les choix d’orientation, en vue d’études supérieures ou de cours en fin de cycle. Les filles, malgré des résultats comparables (et parfois supérieurs) aux garçons en mathématiques et sciences, continuent à s’orienter en dehors de ces disciplines, vers des voies traditionnellement féminines. Ainsi, en Belgique, on trouve 70% de filles dans les filières « philosophie et lettres » des universités alors qu’elles sont autour de 20% en sciences appliquées (inscriptions 2003-2004) (4).

Des observations en classes mixtes indiquent que les cours de sciences sont dominés par les garçons qui accaparent le bon matériel et l’attention du professeur, répondent à la majeure partie des questions et réalisent les expériences, tandis que les filles assistent, rédigent les comptes-rendus à la manière de secrétaires et restent en retrait dans la classe. De plus, certaines études affirment que les contextes mixtes ont tendance à renforcer les stéréotypes de genre, et donc à reproduire l’équation sciences = hommes. En organisant des classes non-mixtes, l’idée est de « débarrasser » les filles de la présence des garçons et de leur permettre d’expérimenter, de toucher, d’intervenir sans craindre de se voir rabrouer et sans associer spécifiquement certaines activités avec leurs camarades de l’autre sexe (5). L’idée n’est plus ici d’influencer les résultats des élèves, mais bien de modifier leur attitude par rapport à la discipline en leur offrant un espace pour découvrir la science d’une manière différente, sur des thèmes qui les intéressent, ainsi que de développer leur perception d’efficacité personnelle (6).

Des écoles ont donc organisé des classes séparées pour les cours de sciences et certaines études rapportent des degrés plus élevés d’orientation vers des disciplines scientifiques, de participation et de confiance en soi chez les filles après une année de cours non-mixtes (7). Des entretiens avec les professeurs et des étudiantes montrent que les classes de filles sont plus agréables, que les filles y sont plus extraverties et coopératives, qu’il y a peu de moqueries et beaucoup de participation (8). De plus, les filles apprécient cet espace pour elles, où la loi des plus bruyants n’a plus cours. La non-mixité réduit également le sexualisation des matières et la reproduction des stéréotypes(9).

Mixité ou non-mixité ?

D’autres motifs existent encore pour recommander un retour à la non-mixité, plus générale, cette fois, tels la violence qui règne dans les écoles et dont les filles sont victimes (10) ou les différences qui apparaissent entre filles et garçons à la puberté et les mèneraient à développer différentes manières d’apprendre (11).

On pourrait se demander dès lors si les filles ne bénéficient pas d’un contexte non-mixte, tandis que les garçons seraient plus à leur aise en milieu mixte. Il est en fait impossible de tirer de réelles conclusions, car comme nous l’avons mentionné plus haut, les données sont éparses et souvent contradictoires. De plus, toute une série de facteurs supplémentaires entre en jeu, pour déterminer l’effet d’une organisation scolaire particulière : a-t-elle l’adhésion des parents ? Des élèves ? Des enseignants ? Sur quelle durée va-t-on implémenter la non-mixité, dans quelles disciplines ? S’accompagne-t-elle de méthodes d’enseignement différencié ? Quel est le niveau préalable, le degré de motivation scolaire, des élèves ? Chacun de ces aspects peut influencer la réussite d’une initiative de non-mixité, au-delà de la simple division des élèves selon leur sexe. Il n’existe donc pas de réponse tranchée à cette question.

Et la formation professionnelle ?

Deux des centres partenaires du projet ADA, Interface3 et Sofft, proposent des formations en informatique exclusivement réservées aux femmes. Bien que la problématique soit bien sûr différente de la situation scolaire, on y retrouve ce même souci de développer un goût, des attitudes positives et une nouvelle confiance en soi dans un domaine traditionnellement masculin. Nous reviendrons sur les expériences particulières de ces centres de formation et sur leur choix de la non-mixité dans une prochaine newsletter.

Eléonore Seron
Juin 2005

Notes & liens
(1)Notamment en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Australie.
(2)Les garçons un peu timides devenant alors des « filles de substitution » et subissant les moqueries autrefois dévolues aux filles. In Parker, L. H., & Rennie, L. J. (2002). Teachers’ implementation of gender-inclusive instructional strategies in single-sex and mixed-sex science classrooms. International Journal of Science Education, 24, 881-897.
(3)Ibid.
(4)Sources : http://www.cref.be, http://www.ond.vlaanderen.be/onderwijsstatistieken/2003-2004/zakboekje/zakboek.htm
(5)Certaines initiatives proposent la même non-mixité dans les cours typiquement féminins, comme les cours de langue maternelle et d’art.
(6)L’efficacité personnelle, qui fera l’objet d’un focus dans une newsletter à venir, est le sentiment d’être capable de réussir une tâche. Ce sentiment prédit bien mieux la persévérance et les choix d’orientation que les résultats objectifs.
(7)http://alex.edfac.usyd.edu.au/LocalResource/study1/coed.html
(8)Gillibrand, E., Robinson, P., Brawn, R., & Osborn, A. (1999). Girls’ participation in physics in single sex classes in mixed schools in relation to confidence and achievement. International Journal of Science Education, 21, 349-362
(9)http://www.cmec.ca/stats/singlegender.fr.pdf , http://www.singlesexschools.org/evidence.html, pour des résumés impartiaux et partiaux des bénéfices de la non-mixité.
(10)http://www.santemagazine.fr/websante/modele_fiche.jsp ?file=F_edito13
(11)http://education.guardian.co.uk/publicschools/story/0,12505,1352141,00.html

Sources

 Gillibrand, E., Robinson, P., Brawn, R., & Osborn, A. (1999). Girls’ participation in physics in single sex classes in mixed schools in relation to confidence and achievement. International Journal of Science Education, 21, 349-362.
 Jackson, C. (2000). Can single-sex classes in co-educational schools enhance the learning experiences of girls and/or boys ? An exploration of pupils’ perceptions. British Educational Research Journal, 28, 37-48.
 Leirn. (2002). La mixité comme incantation. Site des chiennes de garde. http://chiennesdegarde.org/article.php3 ?id_article=59
 Marry, C. (2004). Les paradoxes de la mixité filles-garçons à l’école. Perspectives internationales. Résumé d’un rapport pour le Piref.
 Parker, L. H., & Rennie, L. J. (2002). Teachers’ implementation of gender-inclusive instructional strategies in single-sex and mixed-sex science classrooms. International Journal of Science Education, 24, 881-897.
 Robinson, W. P. (2004). Single-sex teaching and achievement in science. International Journal of Science Education, 26, 659-675.
 Rommes, E., van Slooten, I., & Oudshoorn, N. (2003). Female users experiences with inclusion initiatives. Paper presented at the 5th European Feminist Research Conference.
 Warrington, M., & Younger, M. (2003). ‘We decided to give it a twirl’ : single-sex teaching in English comprehensive schools. Gender and Education, 15, 341-350.

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