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Attitudes informatiques

Mon ordi, je l’aime, un peu, beaucoup, à la folie... pas du tout !

Plus on aime travailler avec un ordinateur, plus il y a de chances que, plus tard, on s’engage dans des études informatiques. Tel est le message de mille et une études scientifiques. Le problème est toutefois que la relation entre aimer l’ordinateur (l’attitude) et le comportement (choisir les études qui correspondent) peut être influencée par une série de variables, pas toujours faciles à contrôler...


licence CC FranSan

On parle souvent de compétence informatique, voire d’expérience en la matière. Néanmoins ni l’une ni l’autre ne remplacent les attitudes que l’on a envers la machine et la discipline : savoir si on aime, si on s’intéresse, si on a peur de l’informatique. Or les attitudes, toutes subjectives qu’elles soient, ne sont pas anodines : elles sont en effet à la base de nos comportements.

Je fais ce que j’aime... si possible

L’attitude désigne notre « sentiment » par rapport à tout objet, notre attachement ou répulsion, le fait d’aimer ou de ne pas aimer. Ainsi on peut avoir une attitude positive (ou négative) par rapport à un style musical, un courant philosophique, une spécialité culinaire, une activité du dimanche ou un voisin de palier.

Le lien entre attitudes et comportements est un vieil objet d’études en psychologie, mais les chercheurs ont assez vite constaté que les unes et les autres n’étaient pas souvent en parfaite adéquation. En effet, on ne fait pas toujours ce qu’on veut, et on fait parfois ce qu’on ne veut pas : la relation entre attitude et comportement est modulée par toute une série de variables, dont les contingences matérielles (on peut aimer le caviar mais ne jamais en manger parce que c’est trop cher), la spécificité de l’attitude (« j’aime les chats » est une attitude trop large pour avoir un rapport précis avec le comportement « j’adopte le chat de ma voisine qui déménage ») ou les normes sociales (même si on n’aime pas s’arrêter aux feux rouges, on le fait parce que c’est obligatoire).

Attitudes et choix de carrière

Pourtant, même tempérées, les attitudes restent à la base de bien des comportements, et plusieurs théories soulignent l’importance subjective pour les êtres humains d’être cohérents, de se conformer à leurs valeurs et attitudes [1] lorsqu’ils agissent. Dans le domaine de l’informatique, les attitudes envers l’ordinateur et la technologie peuvent avoir un impact sur le fait d’utiliser spontanément un ordinateur mais aussi sur les choix de carrière et de formation. Après tout, c’est bien connu : « les femmes ne font pas d’informatique parce qu’elles n’aiment pas ça ! »

Or si toute une série de facteurs entrent en jeu lors d’un choix d’études, et notamment l’état du marché, le niveau de la rémunération, la perception qu’on a de ses compétences, le goût pour le futur métier est effectivement prépondérant.

Une étude belge réalisée par l’association Dream, publiée en 2006 [2], montre qu’à la question « pourquoi avez-vous choisi ce métier ? », 93% des jeunes répondent qu’ils optent pour un métier qu’ils aiment. Ils ne sont que 56% à parler de rémunération et 50% à mentionner l’adéquation entre leurs compétences actuelles et le métier choisi [3]. Les filles mentionnent plus l’attrait pour le métier que les garçons (94.6 % contre 91.6 %) et s’intéressent par ailleurs moins au salaire que leurs confrères (48.1% contre 64.5%).

Ce même rapport révèle que si près de 19% des garçons mentionnent l’IT comme étant l’un de leurs trois secteurs préférés, ce domaine ne fait pas partie des cinq choix privilégiés des filles. La bonne nouvelle est qu’il ne figure pas pour autant parmi les cinq domaines les moins populaires chez ces dernières (au contraire de l’électronique, plus technique).

Mais quoi qu’il en soit, ce sera bien sur le « goût » pour l’informatique et le métier d’informaticien qui entraînera, pour les filles comme pour les garçons, un choix d’études dans ce secteur.

Les attitudes envers l’ordinateur et le genre


licence CC Khoala

Sous le terme d’« attitudes envers l’ordinateur », on retrouve différentes dimensions de notre relation à la machine. En général, les auteurs distinguent le fait d’aimer l’ordinateur (« liking »), la confiance qu’on a en ses compétences par rapport aux ordinateurs (« confidence ») [4] et l’anxiété que suscite son utilisation (King, Bond, & Blandford, 2002). Certains y ajoutent une dimension d’utilité de la technologie.

Ces aspects peuvent varier ensemble ou séparément : on peut en effet être très sûr de ses compétences sans avoir le moindre goût pour l’informatique, ou bien être anxieux à l’idée d’utiliser une machine tout en étant convaincu de l’importance de la technologie dans le monde d’aujourd’hui [5].

Parmi ces dimensions, l’anxiété informatique semble l’une des plus importantes à surmonter. En effet, si une certaine indifférence vis à vis de la machine ne crée pas de vocation, elle ne handicape pas non plus un individu dans sa vie quotidienne. Par contre, l’anxiété peut amener à éviter le stimulus anxiogène, en d’autres mots, à refuser tout contact avec un ordinateur. Dans la société contemporaine, cela peut représenter un réel problème.

De nombreuses études existent qui comparent garçons et filles sur ces différents aspects, et en général, elles indiquent que les filles ont des attitudes moins positives que les garçons par rapport à l’informatique : elles seraient plus anxieuses, moins positives et intéressées, percevraient une moins grande utilité à la technologie (pour une revue, voir Busch, 1995).

Ce « goût » pour l’informatique semble une fois de plus dû à la socialisation, qui mène garçons et filles sur des voies différentes [6]. Il paraît d’ailleurs spécifique à notre culture occidentale : les différences entre garçons et filles n’apparaissent pas [7] chez des adolescents chinois ou japonais (Busch, 1995).

Une fois le choix d’études posé, les différences s’atténuent : dans des univers où l’informatique est omniprésente, les différences entre sexes sont parfois même inversées : Ray, Sormunen et Harris (1999) montrent ainsi que parmi des étudiants en management, les filles ont des attitudes plus positives que les garçons par rapport à l’utilisation des ordinateurs. Mais la différence pourrait se maintenir à ce niveau : confort d’usage chez les filles, intérêt pour le ventre de la machine chez les garçons.

Les attitudes sont modulées par le type d’informatique dont on traite : Internet, l’ordinateur en tant que machine, les activités bureautiques ou de programmation, l’informatique au sens large. Une fois encore, chaque attitude n’est liée qu’au comportement correspondant : le fait d’aimer Internet ne permet pas de prédire qu’une jeune fille s’engagera dans des études d’ingénieur informaticien ! De même, les attitudes sont liées à l’âge et à la situation des personnes : étudiants, enfants à l’école primaire, personnes âgées ; chaque cohorte a son histoire et donc ses attitudes... Les attitudes envers l’informatique changent avec la société dans laquelle nous vivons. Les écarts entre garçons et filles se réduisent à mesure que l’Internet se répand, l’ordinateur est dans toutes les maisons, et les plus jeunes n’ont plus les angoisses des plus âgés. Pourtant, si la peur s’efface, le goût ne vient pas plus spontanément...

Certains hommes aiment la technologie à un point qui peut sembler obsessionnel voire excessif (Kleif & Faulkner, 2003). Cette attraction extrême pour les rouages de la machine peut décourager certaines jeunes filles intéressées à la technologie, non pas parce qu’elles n’apprécient pas cette attitude, mais parce qu’elles imaginent qu’il s’agit là de la seule manière valable d’apprécier l’informatique et se sentent incapables d’éprouver le même élan pour un ordinateur.

Margolis et Fischer (2001) notent en effet que des jeunes femmes engagées dans des études d’informatique à l’université abandonnent en cours de cursus non pas parce qu’elles sont incapables de suivre le niveau des cours, mais parce qu’elles ont l’impression de ne pas être « à leur place » parmi tous ces passionnés. Or, rien n’est plus dommage pour la discipline : si l’informatique a besoin de programmeurs assidus, elle est de plus en plus orientée vers le contact avec les utilisateurs et se nourrit des intérêts diversifiés de ses professionnels.

On aurait cependant tort de penser que les informaticiennes n’éprouvent jamais les mêmes élans émotionnels devant leur machine. Une étude de Faulkner (2000) semble en effet indiquer qu’il est simplement moins « acceptable » pour une femme de montrer son plaisir technologique en public... Les femmes « débuggent » donc avec une satisfaction intense mais... discrète !

Formation et changement d’attitudes

Heureusement, les attitudes ne sont pas immuables. De multiples théories existent qui tentent d’expliquer comment les attitudes se forment et comment les modifier.

On peut par exemple recourir à la persuasion [8] pour faire changer les gens d’avis. C’est ce qu’on observe dans les campagnes de prévention (pour la sécurité routière, les soins de santé, le développement durable....), ou dans la publicité. Toute une série de ficelles sont utilisées pour convaincre : paroles d’experts ou de stars [9], longueur des messages et nombre des arguments, recours à la menace ou à l’empathie... Mais on peut aussi se servir directement du comportement des gens : le besoin de cohérence peut amener quelqu’un à se persuader qu’il aime quelque chose parce qu’il le fait, surtout quand le comportement est difficile [10].

Dans le registre spécifique des attitudes envers l’ordinateur, le rôle de l’expérience est souligné comme crucial. Notamment, les différences entre sexes relevées dans la littérature scientifique sont généralement éliminées lorsque l’on tient compte de l’expérience que chacun a en informatique (Busch, 1995 ; Durndell & Haag, 2002 ; McCoy & Heafner, 2004). De même, le fait de posséder un ordinateur est un déterminant plus important du goût pour l’informatique que le genre (McCoy & Heafner, 2004).

Néanmoins, il ne faudrait pas pour autant croire à une toute puissance de l’expérience et de l’usage. En effet, la qualité de cette expérience, positive ou négative, peut renforcer les attitudes préalables. Ainsi, il semble que le fait d’utiliser un ordinateur à son domicile (de manière volontaire) est lié positivement aux attitudes envers l’informatique, tandis que l’obligation de s’en servir à l’université ne l’est pas (Garland & Noyes, 2004). De la même manière, le type d’activité réalisée, utilisation ou programmation, pourrait également être déterminante : ce n’est pas en tapant des travaux sur la bécane familiale qu’on se découvre une passion pour le code (Garland & Noyes, 2004).

Le rôle des encouragements par les pairs est aussi souligné comme un facteur positif (Busch, 1995) : les garçons seraient plus positifs envers les ordinateurs parce que c’est une activité encouragée dans leurs groupes d’amis et que le fait de maîtriser un ordinateur leur conférerait un statut élevé dans ces groupes et que les parents verraient d’un bon œil que leurs fils s’intéressent à la technologie.

Dans le cadre des activités CyberSenso, ADA a voulu savoir si ses formations avaient un impact sur les attitudes envers l’informatique des participantes, en les interrogeant au moyen de questionnaires avant et après la session de cours. Les résultats de cette enquête Senso feront l’objet d’un article dans une newsletter à venir.

Au travail...

Les derniers chiffres de l’enseignement le montrent [11] : peu de filles choisissent de s’engager dans des études informatiques et la tendance va en empirant d’année en année. Au-delà d’un apprentissage pointu de compétences informatiques, il est donc crucial de donner ce goût. Les solutions ne sont pas simples et passent par une image attrayante de la discipline, un accès aisé aux machines et des expériences positives, correspondant aux métiers à venir. Ada propose déjà des outils pour répondre à une partie de ces objectifs, mais l’effort doit venir de tous les intervenants, des acteurs de la prime enfance qui peuvent offrir l’expérience et l’accès jusqu’aux entreprises qui cristalliseront les rêves des professionnels/les de demain.

Eléonore Seron

Septembre 2006

Références
- Busch, T. (1995). Gender differences in self-efficacy and attitudes toward computers. Journal of Educational Computing Research, 12, 147-158.
- Davies, A. R., Klawe, M., Ng, M., Nyhus, C., & Sullivan, H. (2000). Gender issues in computer science education. Fifth Annual NISE Forum. http://www.wcer.wisc.edu/archive/nise/News_Activities/Forums/Klawepaper.htm
- Durndell, A., & Haag, Z. (2002). Computer self efficacy, computer anxiety, attitudes towards the Internet and reported experience with the Internet, by gender, in an East European sample. Computers in Human Behavior, 18, 521-535.
- Garland, K. J., & Noyes, J. M. (2004). Computer experience : a poor predictor of computer attitudes. Computers in Human Behavior, 20, 823-840.
- King, J., Bond, T., & Blandford, S. (2002). An investigation of computer anxiety by gender and grade. Computers in Human Behavior, 18, 69-84. Doc 495.
- Leger-Hornby, T. (1997). Gender schema and computer attitudes of female college students at single-sex and coeducational colleges. Dissertation, Boston College.
- McCoy, L. P., & Heafner, T. L. (2004). Effect of gender on computer use and attittudes of college seniors. Journal of women and minorities in engineering and science, 10 (1), 40-51.
- Morahan-Martin, J., & Schumacher, P. (2001). Gender, Internet and computer attitudes and experience. Computers in Human Behavior, 17, 95-110.
- Ray, S. M., Sormunen, C., & Harris, T. M. (1999). Men’s and women’s attitudes towards computer technology. Office Systems Research Journal. http://www.osra.org/itlpj/raysormunenharris.PDF
- Chua, S. L., Chen, D.-T., & Wong, A. F. L. (1999). Computer anxiety and its correlates : a meta-analysis. Computers in Human Behavior, 15, 609-623.

[1] Notamment la théorie de la dissonance cognitive de Leon Festinger (1954) et la théorie de la balance de Fritz Heider (1958).

[2] Le projet Dream, créé en 1997 par l’ICHEC-PME, organise chaque année une rencontre entre des jeunes et des témoins du monde professionnel (http://www.dream-it.be). Leur enquête a été menée en automne 2005 auprès de 1100 élèves de 5ème, 6ème et 7ème secondaire, issus des 10 provinces belges, avec un nombre équivalent de filles et de garçons. http://www.dream-it.be/pdf/RAPPORT_enq_2006_fr.pdf

[3] Le rôle des compétences préalables n’est cependant pas négligeable, même s’il n’est pas notre objet dans cet article. Quand on sait le peu d’expérience informatique réelle qu’ont les filles au sortir du secondaire, ces résultats sont un appel criant à une formation informatique plus poussée à l’école.

[4] Une dimension qui s’apparente au concept d’efficacité personnelle perçue.

[5] A la conjonction d’une perception d’utilité et de l’anxiété se trouve le concept de technophobie : ce terme désigne le rejet d’une nouvelle technologie parce qu’on est persuadé qu’elle est dangereuse pour l’humanité. La technophobie se décline en autant de facettes qu’il y a de technologies : on peut craindre le pouvoir de l’ingéniérie génétique (clonage, OGM, fichage ADN...), de l’intelligence artificielle, de l’énergie atomique...

[6] Leger-Hornby (1997) montre notamment dans sa thèse de doctorat que les filles qui s’identifient aux rôles traditionnels féminins ont des attitudes plus négatives envers l’informatique que les autres. Cependant, des environnements non mixtes semblent éliminer ce handicap.

[7] Ou moins fortement.

[8] Pour les détails des méthodes d’influence, se plonger dans les ouvrages suivants : « Petit traité de manipulation à l’égard des honnêtes gens » de Robert-Vincent Joule et Jean-Louis Beauvois, 2002, Presses Universitaires de Grenoble ou « Influence et Manipulation : Comprendre et Maîtriser les mécanismes et les techniques de persuasion » de Robert Cialdini, 2004, éditions First.

[9] L’idée est que si une personne qu’on aime défend un point de vue, on aura tendance à accepter ce point de vue pour rétablir un certain équilibre : « une personne bien a des idées bien ».

[10] On estime que c’est ce qui se passe notamment lors des rituels d’initiation dans les universités (baptêmes, bizutages...). L’individu « rationaliserait » son comportement en se disant : si j’ai subi ça, c’est que ça en valait la peine. Ce n’est pas pour autant un processus conscient.

[11] Voir notre rubrique consacrée au problème


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