ADA - Femmes et Nouvelles Technologies

 

Cyberhéroïnes / Cyborgs / Replicants : les pourtours d’une définition


Au cœur de l’univers cyber, intervient la donnée de la virtualité, du "cyber". La cyberhéroïne serait donc, intrinsèquement, un personnage inséré dans une réalité virtuelle. Si l’on suit cette logique, elle serait donc d’abord définie selon un environnement, selon le paysage dans lequel elle évolue, monde virtuel. Généralement représenté de façon futuriste, ce monde existe en soi (Alien IV, Final Analysis) ou cotoie la réalité à laquelle il est relié par un lien mi-virtuel (ordinateur), mi-organique (l’être humain, par le biais du cerveau dans The Matrix et The Cell, ou, également, du système nerveux comme dans eXistenZ). En réalité, la majorité des cyber-héroïnes évoluent dans un espace à réalités mixtes. Ce monde parallèle est essentiel car il permet aux héroïnes de se dédoubler dans une autre figure d’elle-même dont les capacités sont maximisées du fait de son interaction avec la machine. Ainsi, ses capacités intellectuelles et physiques sont particulièrement développées et efficaces dans cet univers virtuellement reconstitué.

Physiquement, les exemples filmiques penchent plus du côté des post-human bodies, des corps reconstitués de Braidotti que du cyborg de Haraway. Si certains éléments technologiques sont présents dans le corps, ils le sont surtout en périphérie, une sorte d’extension corporelle (eXistenZ et le bioport ; le casque d’Avalon, etc.). Les cyberféministes sont en effet "those who live their cyberlives bearing in mind that technology is an extension of the body". Contrairement aux cyborgs et aux réplicants, [1] les cyberhéroïnes ne répondent pas réellement à la définition d’organismes à mi-chemin entre l’humain et la machine (celle-ci reste définitivement en dehors de l’intégrité physique des cyberhéroïnes, même si elle entre en interaction avec son corps). Il me semble pourtant primordial de leur appliquer cette même idée de reconstitution.

En continuation directe avec les arguments de Braidotti, il faut donc concevoir l’héroïne comme un corps qui soit l’objet d’une reconstitution, engendrant un être hybride. On explique ainsi les corps ‘reconstitués’ par le clônage (celui d’Ellen Ripley dans Alien IV, d’où la réflexion d’un scientifique qui lui explique "We’ve remade you"), de manipulations génétiques ou de simples reconstitutions physiques (Leeloo dans The 5th Element). Sont également inclues dans cette reconstitution les manipulations psychiques, notamment de la mémoire (comme le cas des répliquants dans Blade Runner) ou du vécu (par les jeux vidéos dans eXistenZ, la matrice de The Matrix ou la machine à psychanalyser de The Cell). Lorsqu’il y a mondes dichotomiques, l’accès à une reconstitution dans l’univers virtuel est souvent l’objet d’une robotisation visuelle partielle, d’une hybridation du corps réel de l’héroïne ; le corps et la tête de Catherine (Jennifer Lopez) couverts de la combinaison et du tissu numérisé, le cerveau de Trinity (Carrie-Ann Moss) dans The Matrix pénétré par une sonde, la colonne vertébrale d’Allegra Galler (Jennifer Jason Leigh) relié de façon organique à son pod. Une fois lâché dans l’univers virtuel, le corps virtualisé est ainsi libre de toute attache à l’exception d’un détail qui lui permet de revenir dans le monde réel (inséré dans le corps comme le carré greffé dans la main de Catherine, ou extériorisé, comme le téléphone de Matrix).

En dehors de cette définition visuelle du personnage, ce qui définit le mieux ces héroïnes est sans aucun doute leurs diverses capacités. Comme souligné ci-dessus, c’est l’environnement dans lequel elles évoluent qui leur permet d’utiliser leurs capacités intellectuelles et physiques. Au niveau narratif, elles prennent donc en charge l’avancée (totale ou partielle) de l’intrigue, permettant de mener à bien des entreprises vouées à l’échec (l’élimination des aliens, sauver une jeune fille d’une mort annoncée, sauver l’humanité libre, etc.). Elles impliquent l’idée des frontières floues, voire de réalités mixtes au sens littéral du terme, en ce qui concerne les rôles sociaux et leur dichotomisation, combinant des corps très féminisés, mythifiés et des capacités intellectuelles, physiques jusque là attribuées à des personnages masculins.

Notes

[1] Ouvrons ici une parenthèse où l’on ferait une différence entre les cyborgs (organisme mi-humain, mi-machine) ou les réplicants (de Blade Runner) (êtres manufacturés, identiques aux humains, supérieurs en force et agilité et au moins égal en intelligence aux ingénieurs génétiques qui les ont engendrés/répliques de leurs concepteurs).


Mentions | Motorisé par Spip