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SMSI : "Les femmes doivent participer aux décisions concernant les TIC"

 
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Sommet mondial de l’ONU sur la société de l’information (2)

les mouvements de femmes placent le ’genre’ à l’agenda de la société de l’information

Tenter de faire disparaître le fossé digital qui règne dans le monde est impossible sans accorder une attention particulière aux différences de genre, qu’il s’agisse de l’accès aux technologies de l’information et de la communication, de l’utilisation, ou de la politique appliquée. Forts de cette certitude, des mouvements de femmes du monde entier ont mis le cap, fin de l’année dernière, sur le premier Sommet Mondial des Nations Unies sur la Société de l’Information (SMSI), qui se tenait à Genève. Le bilan est décevant : peu ou pas d’allusions au genre dans les documents officiels. Dans ce deuxième volet consacré au SMSI, nous proposons un survol des principaux thèmes liés au genre à prendre en compte dans le processus SMSI.

Le premier SMSI est terminé. Une déclaration de principe des Nations Unies et un plan d’action établissent les lignes de base pour la construction d’une politique coordonnée et globale dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, et pour l’élimination de la fracture digitale. Mais beaucoup de membres de la société civile ne sont pas satisfaits du résultat (ONG’s, membres du milieu académique, syndicats, …) (1).
Qu’en est-il des femmes ? Comment le thème du genre a-t-il été abordé lors du SMSI ?

Le genre traverse la fracture digitale

La fracture digitale est complexe et multidimensionnelle (nord-sud, riche-pauvre, jeune-vieux...), mais la dimension du genre traverse toutes les autres dimensions. Partout dans le monde, les femmes doivent faire face à des obstacles sociaux et économiques, mais aussi culturels, qui limitent leurs possibilités d’accès aux technologies de l’information et de la communication, ainsi que leurs possibilités d’utilisation. "Dans une société qui tourne de plus en plus autour de l’information et de la communication, il existe un danger réel de voir la fracture digitale s’ajouter à la fracture de genre déjà existante, et la fasse augmenter", estime Natasha Primo (2).
On pourrait donc s’attendre à ce qu’un sommet des Nations Unies dont le mot d’ordre était "une société de l’information inclusive" place le thème du genre au centre des discussions. Mais ce fut loin d’être le cas. Enormément de lobbying a été nécessaire pour que le problème du genre soit placé à l’agenda du SMSI, et beaucoup de recommandations ont tout simplement été niées dans les documents officiels du SMSI.


paragraphe proposé
photo : NGO GSWG

Le paragraphe sur le genre

Lors de la phase préparatoire au sommet des Nations Unies, plusieurs organisations de femmes avaient lancé une campagne sur t-shirt, avec pour slogan ‘il manque un paragraphe au SMSI’. Le paragraphe proposé comprenait une indication explicite concernant l’impact négatif de la révolution digitale sur les femmes et demandait une politique qui prenne en compte les différences de genre et en trace la carte (3).

Malheureusement, le paragraphe du t-shirt n’a pas passé la ligne d’arrivée. Dans la déclaration de principe du SMSI (4) le paragraphe a été remplacé par un texte bien plus vague (paragraphe A12), qui insiste surtout sur le mot magique ‘gendermainstreaming’ et sur les ‘chances énormes que les TIC ont à offrir aux femmes’.

Les femmes ne sont pas que des utilisatrices, mais aussi des développeuses et des décideuses

Les TIC, un avantage pour les femmes ?

Internet et les TIC offrent des possibilités jamais imaginées pour l’émancipation des femmes, que ce soit dans le domaine du droit des femmes, du développement, des possibilités de travail et de la santé. C’est en tout cas l’idée dominante du SMSI. Mais est-ce bien vrai ? Lors d’une table ronde organisée par Isis International Manila (9) il a été évoqué le fait que les TIC avaient préservé l’oppression des femmes et l’avaient même peut-être renforcé.

Anita Gurumurthy de Development Alternatives for Women in a New Era (DAWN) (10) a restreint les ardeurs : "Dans l’économie globale des IT, les droits des travailleur/euse/s sont minimisés, et les femmes occupent les fonctions les plus basses en termes d’emploi dans les TIC. Les nouvelles technologies favorisent le commerce des femmes, et via le régime de la propriété intellectuelle, (patentes, licences, copyright,..) la connaissance qui auparavant était publique (tout comme la technologie agricole ou les recettes pharmaceutiques) se retrouve dans les mains d’un petit groupe de monopoles puissants." (11)

Susanna George, directrice de Isis Manila, estime que le SMSI commet l’erreur de systématiquement lier les TIC au développement, comme si les TIC possédaient tout ce qui est nécessaire pour changer la société : "La question du genre dans les TIC semble se réduire à savoir si les femmes ont ou n’ont pas accès aux TIC. Ce qui donne naissance à un modèle de développement dans lequel nombre de choses bien plus importantes dans la vie des femmes sont minimisées."(11)

Anriette Esterhuysen, directrice de APC (12), complète : "Le terme ’Société de l’Information’ de par son sens, détourne l’attention de l"inégalité d’accès existant vis-à-vis de tellement d’autres sources d’aide (non TIC) existantes." (13)

Les femmes ne doivent pas seulement être vues comme consommatrices ou utilisatrices de TIC, mais également comme des productrices, estime Mrijana Domanovic (5).

Une approche du genre dans l’enseignement devrait permettre à plus de filles de se diriger vers des filières techniques. Une demande qui se retrouve dans le plan d’action du SMSI (6) :

  • Des programmes spéciaux d’intervention devraient permettre que plus de jeunes filles choisissent une carrière dans les TIC (paragraphe C7 19d)
  • Les programmes qui ont une approche sensibilisée aux questions de genre, autant dans l’enseignement formel qu’informel, doivent être soutenus (paragraphe C8 23h)
  • Il faut travailler sur les barrières de genre qui empêchent les filles et les femmes de suivre une formation en TIC (paragraphe C4 11g)
  • Les bonnes pratiques concernant l’intégration de la perspective de genre dans l’enseignement des TIC doivent être mises en avant (paragraphe C4 11g)

Les femmes sont également sous-représentées dans le processus global décisionnel (politique nationale et internationale, standards, contrôle,..) qui entoure les TIC. Bien trop souvent, on part du principe que les TIC sont neutres du point de vue du genre, et que les femmes n’ont qu’à s’adapter à la technologie. Si nous voulons une culture technologique qui tient également compte des intérêts et des besoins des femmes, écrit Dafne Plou, il faut qu’il y ait plus de femmes actives dans les niveaux de décision des TIC (7). Il est décevant de constater que ce point important ne se retrouve pas dans le Plan d’action du SMSI.

Analyse de genre dans les TIC

L’existence de différences de genre dans les TIC est trop peu souvent reconnue, ce qui explique que tellement de décisions concernant les TIC soient ’genderblind’. Le WACC (8) estime que les gouvernements devraient investir dans la recherche et les techniques d’évaluation permettant de mesurer l’impact des TIC sur les femmes. Les données récoltées devraient être classées en fonction du sexe, du revenu, de l’âge, du lieu, et d’autres facteurs intéressants, et serviraient de base à une politique de genre qui aurait pour effet de rendre les avantages des TIC bénéfiques à tous. Cette exigence ne se retrouve que partiellement dans le Plan d’action, vu qu’on y attire trop l’attention sur l’utilisation des TIC et sur les chances de développement que les TIC ont à offrir aux femmes :

  • des indicateurs spécifiquement liés au genre doivent mesurer l’utilisation et le besoin des TIC (paragraphe E 28d)
  • des instruments mesurant l’impact des projets TIC subsidiés sur la vie des femmes et des filles doivent être développés (paragraphe E 28d)
  • chaque pays doit annuellement (ou tous les deux ans) publier un indicateur de développement des TIC (Digital Opportunity Index) comprenant une analyse de genre (paragraphe E 28a)

Emploi dans les TIC

Ce qui frappe, c’est l’attention accordée au genre dans le Plan d’action du WSIS dans les paragraphes consacrés à l’e-employment (emploi dans le secteur des TIC) et au télétravail (emploi via les TIC) :


    Campagne sur t-shirt
    Gender Strategies Working Group
    photo : NGO GSWG
  • on demande aux gouvernements d’avoir une politique en matière de TIC qui encourage l’entreprise, l’innovation et l’investissement, et qui accorde une attention particulière à la participation et la promotion des femmes. (paragraphe C6 13.1)
  • le développement de ’bonnes pratiques’ pour les e-employés et e-employeurs doivent être encouragées au niveau national, en se basant sur des principes honnêtes et sur l’égalité des genres, et doivent respecter toutes les normes internationales pertinentes (paragraphe C7 19a)
  • il faut faire la promotion du télétravail, afin d’augmenter les opportunités d’emploi pour les femmes (paragraphe C7 19c)

Les paragraphes repris ci-dessus mettent l’accent sur les possibilités d’emploi pour les femmes, entre autres dans les centres de communication, le télémarketing, la téléphonie mobile, l’industrie des softwares, la gestion de données,… mais restent vagues quant à la discrimination de genre dans le secteur des TIC, où les hommes occupent les meilleures places, et les femmes se retrouvent aux positions peu valorisées. Pas un mot non plus sur les conditions de travail pitoyables dans le télémarketing et les call centers : d’après Dafne Plou (7) beaucoup de femmes se plaignent de problèmes de santé pour cause de travail trop répétitif, et, dans le sud, les salaires sont si bas, qu’on les appelle les “sweatshops” de l’ère digitale. En ce qui concerne le télétravail, le Plan d’action du SMSI ne se concentre que sur les avantages, et pas sur les effets négatifs qu’il peut avoir sur la qualité de vie : toujours selon Plou, certaines femmes qui pratiquent le télétravail passent à côté d’occasions de promotion, ou sont confrontées à une combinaison encore plus ardue entre travail et vie de famille.

Lize De Clercq
mai 2004

Notes & Liens
(1) voir premier volet d’ADA sur le SMSI :
La société civile déçue par les négociations du SMSI
(2) Gender Issues in the Information society. Natasha Primo (pdf)
(3) Gender advocates launch successful awareness campaign at PrepCom-3, Isis on WSIS
(4) Déclaration de principe SMSI (en français) : [doc | pdf]
(5) Women Are Not Only Users, But Creators of Technology, Mirjana Dokmanovic, janvier 2004
(6) Plan d’action SMSI (en français) : [doc | pdf]
(7) What about Gender Issues in the Information society ? Dafne Plou (pdf)
(8) Creating richness in the Information society. WACC, mars 2003
(9)
Isis International Manila
(10) Development Alternatives for Women in a New Era (DAWN)
(11) Women make a stand to counter globalised media and ICT systems, Isis on WSIS
(12) Association for Progressive Communications (APC)
(13) Whose "information society" ? Anriette Esterhuysen, mai 2004


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