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La "voie royale" des jeux vidéos Les jeux vidéos, qu’ils se déclinent sur consoles ou ordinateurs personnels, semblent constituer une occupation exclusivement adolescente et masculine. Simulations de guerre ou tournois sportifs, jeux de massacre et d’aventure, on les associe aux garçons, certes, mais aussi à un cortège d’effets néfastes, comme la violence. Pourtant, les jeux vidéos sont aussi considérés comme une porte d’entrée ludique dans l’univers informatique. L’exclusion des filles de cette activité ludique n’explique-t-elle pas en partie le retard qu’elles ont ensuite dans le domaine des nouvelles technologies ?
On imagine souvent que le joueur moyen est un garçon de 15 ans, mais cette représentation devient obsolète : depuis quelques années, les enquêtes montrent que la population des « gamers » vieillit et se féminise (1). En Europe de l’Ouest, environ 25% des joueurs sont des joueuses. Ce chiffre monte à 39% aux Etats-Unis, et à plus de 69% (2) en Corée du Sud !! De plus, l’âge moyen des joueurs est aujourd’hui de 29 ans (3). Les jeux vidéos ne sont donc plus une activité réservée aux adolescents de sexe masculin…Il faut dire qu’il s’agit là d’une industrie florissante, qui a rapporté en 2004 plus 28 milliards de dollars (contre 55 milliards pour le cinéma et ses dérivés). Les producteurs eux-mêmes se posent la question : comment intéresser les filles, cette manne céleste inaccessible ? Les jeux vidéos : un bien ou un mal ? La pratique des jeux vidéos est pointée du doigt pour expliquer une kyrielle de dérives. Pourtant, les experts sont loin de s’accorder sur ce sujet. Si certains estiment que les jeux vidéos peuvent rendre les enfants violents, d’autres pensent qu’ils révèlent simplement des travers déjà présents ou même offrent la possibilité d’un exutoire, d’une catharsis (4). De même, on relie parfois mauvais résultats scolaires et pratique des jeux vidéos, alors que certaines recherches indiquent qu’il n’existe pas de lien entre les deux, et d’autres qu’il y peut y avoir un lien parfois positif. Néanmoins, l’APA, la prestigieuse association des psychologues américains, a publié en août 2005 un avis condamnant la violence dans les jeux, qu’ils accusent de provoquer ce même type de comportements chez les jeunes. Ils appellent notamment à un renforcement des normes de classification des jeux selon la tranche d’âge (5).(note en bas de page : A) De plus, des chercheurs anglais et américains se sont intéressés aux effets positifs des jeux vidéos et ont réalisé que les joueurs développaient de meilleures capacités d’attention que les non-joueurs (6) : ils se laissent notamment moins distraire. On a également relevé de possibles conséquences positives sur la mémoire, la rapidité de réflexion, la persévérance ou encore la créativité et l’estime de soi (7) ! On souligne aussi le caractère social du jeu vidéo : on peut s’échanger des solutions et des astuces, se prêter les jeux, comparer ses scores et même jouer ensemble et en équipe. Plus récemment, une recherche américaine a mis en évidence des liens entre le fait de jouer et l’attitude au travail. Selon John Beck et Mitchell Wade, la génération “gamers” a une approche du monde très différente des générations précédentes, notamment dans sa manière d’aborder les défis, d’évaluer les risques ou de gérer les autres personnes. La valeur que les gamers accordent à la victoire et aux compétences peut notamment être un atout dans le monde de l’entreprise (8) Le jeu vidéo constituerait en outre une entrée privilégiée dans le monde informatique (9). En effet, il peut d’une part contribuer à associer la machine « ordinateur » avec des expériences divertissantes, et par-là réduire l’anxiété face à la technologie. L’ordinateur devient un partenaire ludique, amusant, positif. D’autre part, certains jeux encouragent l’acquisition de compétences plus pointues, pour installer le jeu, régler d’éventuels problèmes techniques ou participer au développement du logiciel via la construction de « mods » (10). Un accès, une forme et un contenu réservés aux garçons
L’écart entre filles et garçons dans le domaine du jeu vidéo peut s’expliquer par plusieurs phénomènes, liés à la socialisation : d’abord, il semble que dès leur plus jeune âge, les fillettes ont moins accès à l’ordinateur que leurs camarades masculins, notamment parce que ces derniers s’approprient la machine. En effet, dès 7 ans, les enfants des deux sexes perçoivent l’ordinateur comme un objet masculin, destiné aux garçons (11) et contraire à la définition de l’identité féminine. Très vite, la plupart des filles considèrent que le jeu est une perte de temps, qu’il est signe d’immaturité : seuls les enfants jouent. Adolescentes, elles s’intéressent davantage aux relations interpersonnelles, à leur apparence et leurs sorties. Ainsi, devant un écran, elles iront plutôt « chatter » avec leurs copines que conquérir un univers virtuel. Le contenu des jeux est également mentionné pour expliquer le peu d’intérêt qu’ont les filles pour ce type de loisirs. Combats de rue, guerre nucléaire et épées sanglantes, la violence semble être le fond de commerce du jeu vidéo standard. Or cette violence semble rebuter les filles (12). D’autres thématiques les attirent-elles davantage ? Les avis sont très partagés quant au contenu idéal pour attirer les filles. Certains se font les avocats de la mise au point de « jeux pour filles », qui s’articuleraient autour de leurs tendances et intérêts présumés : coopération plutôt que compétition, communication, non-violence, scénarios basés sur l’entraide et l’émotion, des contenus « filles » comme le souci de l’apparence, les secrets, les relations interindividuelles. Plusieurs jeux ont ainsi été créés et commercialisés, basés sur le personnage de Barbie ou des intrigues en milieu scolaire, par exemple. Parfois, ces logiciels ne sont pas des jeux à proprement parler, mais plutôt des supports d’activité, où l’on peut par exemple dessiner de nouveaux vêtements pour ses poupées ou écrire un journal personnel (13).
Ce type d’approche est décrié par certain/es, qui estiment qu’il ne s’agit ni plus ni moins qu’un renforcement des stéréotypes, qui cantonne les filles dans des mondes et des activités qui leur sont socialement imposées, alors qu’en réalité, elles seraient ravies de se frotter à la compétition et à l’aventure, voire à cette violence tant honnie ! Il existe ainsi des communautés de femmes qui revendiquent leur passion pour des jeux dits de « mecs », comme Quake ou Halo, et dont le principe est en général de "tirer sur tout ce qui bouge" (14). D’autres estiment que ces jeux pour filles sont en général peu passionnants, qu’ils intéressent les filles pendant une courte durée, et ne suscitent en rien un goût pour l’ordinateur (15). Les femmes peuvent probablement être attirées par différents types de jeux vidéos : les groupes de femmes et de filles joueuses sur Internet le montrent d’ailleurs, les participantes s’intéressent à des jeux violents ou pacifiques, actifs ou passifs, roses ou noirs (16). Une étude réalisée aux USA (17) indique que les jeux préférés des filles de 8 à 14 ans sont les « jeux de violence fantastiques », c’est à dire se déroulant dans des univers et avec des personnages peu réalistes, où le héros doit combattre des ennemis et essayer de rester en vie. De plus, ces filles estiment que les jeux violents devraient également leur être proposés (18). Les joueuses adultes soulignent l’importance de bons scénarios, de personnages recherchés, de nouveauté, d’immersion dans des univers virtuels bien conçus, de la facilité d’apprentissage des commandes et de la flexibilité (19), tant de caractéristiques qui enrichissent le jeu, quel que soit son public. Des jeux neutres du point de vue du genre, plaisant à la fois aux filles et aux garçons, existent ainsi sur le marché, comme les Sims qui attirent un public mixte et enthousiaste. Des personnages féminins pour le moins stéréotypés
L’image des femmes dans les jeux vidéos est une problématique connexe à celle de la violence, et participe à l’idée d’une reproduction des clichés patriarcaux dans le jeu vidéo. Compte-tenu de la pénétration de ce type de loisirs dans la société occidentale, il est important de s’attarder sur cette question. Demoiselles en détresse ou pin-ups dénudées, les femmes virtuelles constituent un très faible pourcentage des protagonistes à l’écran (20). Les quelques femmes actives sont souvent non-humaines ou s’opposent, démoniaques, au héros. De manière générale, elles reflètent le désir masculin : large poitrine, taille fine et un minimum de vêtements. Même Lara Croft, citée comme un modèle féminin plein d’énergie et d’indépendance, séduit avant tout un public d’hommes, plus intéressé par ses formes (21) que par le fait qu’elle est une femme qui sait se battre et réfléchir. Face à ces femmes calibrées pour un public masculin, les filles comprennent qu’elles ne sont pas les bienvenues dans l’univers du jeu vidéo. Au-delà de ça, ces images présentant des femmes passives et des hommes aventureux peuvent influencer insidieusement garçons et filles et transformer leur vision d’eux-mêmes et des membres du sexe opposé qu’ils côtoient. Heureusement, on assiste à une évolution à ce niveau, avec l’apparition de personnages féminins moins stéréotypés et qui correspondent mieux aux désirs des joueuses. Même Lara Croft a subi un relifting récent ! Un certain nombre de jeux permettent également de choisir le sexe du protagoniste qu’on désire incarner, neutralisant l’équation héros = homme. Dans certains jeux, notamment les MMORPG (Jeux multi-joueurs via Internet), on assiste d’ailleurs à une certaine galanterie (mais parfois aussi à un harcèlement désagréable) envers les personnages féminins, qui amène certains garçons à jouer des femmes, pour bénéficier de cette attention ! (22). L’industrie prend de plus en plus en compte l’existence des joueuses, même si les jeux violents et sexistes ne sont pas pour autant sur le point de disparaître. L’offre se diversifie simplement. Jouer ou ne pas jouer ? Dans notre société, où les ordinateurs envahissent tous
les aspects de l’existence, les femmes doivent impérativement s’intéresser à l’informatique. Le jeu vidéo pourrait instituer une manière ludique de se pencher sur les rouages d’une machine omniprésente. Pourtant, cette activité est encore largement destinée aux hommes. Idéalement, l’industrie devrait s’adapter davantage au public féminin et concevoir plus de produits qui lui plairont, sans pour autant verser dans les stéréotypes outranciers : toute une série de jeux « neutres » sont possibles. L’arrivée de plus nombreuses femmes dans les équipes de ces entreprises (elles ne sont que 15% actuellement) pourrait favoriser cette évolution. Néanmoins, les femmes (et les parents des filles) doivent aussi réaliser que les
jeux vidéos sont déjà une source de plaisir immense, qui
n’est pas réservée aux hommes !
Eléonore Seron
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